Introduction |
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Les
recherches en musique et musicologie du monde arabe ont connu une
prolifération
intense durant la deuxième moitié du XXème siècle.
Sur le plan théorique, les musicologues ont
principalement approché les manuscrits des théoriciens arabes
les plus éminents [1]
sur les niveaux historique,
philosophique et
esthétique. Les intentions théoriques de ces musicologues se résumaient
dans la
mise en valeur de la suprématie d’un large champ savant et culturel
traditionnel, à travers la description et l’énumération d’un nombre
d’échelles
censées traduire la pratique musicale arabe
actuelle. Préconisant des propos
purement musicaux se rapportant exclusivement au matériau musical et à
sa
théorisation, les soucis analytiques ont été principalement centrés sur
des
transcriptions aussi détaillées que possible pour donner l’image la
plus claire
et la plus proche de cette pratique. De quelle musique parlent ces
musicologues
en l’occurrence ? Répondant à cette question, il est à noter
qu’une
classification des genres musicaux du monde arabo-oriental a été
inhérente à
leurs démarches scientifiques. On a toujours souligné une
"concomitance" de deux grands types de musiques : musique "savante" et musique "populaire". La différenciation de ces
deux concepts s’est établie sur la base d’un ensemble de dualités de
termes opposés
aussi qualificatifs que formels : musique théorisée/musique
non théorisée,
musique écrite/musique non écrite (orale), musique profane/musique
religieuse.
D’autres termes restent,
par ailleurs, ambigus : l’expression "musique traditionnelle"
peut faire référence aussi bien à la musique " savante " qu’à la
musique "populaire". Il en est de même pour l’expression "
musique classique " bien qu’elle soit plus attribuée à la musique "
savante " de part sa provenance du lexique musical occidental.
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[1]
Depuis la fin du
VIIIème siècle jusqu’au
début du XVIème, on compte environ sept siècles
de réflexion
théorique sur la musique arabe et sa pratique, représentée par un
ensemble
d’écrits menés par plusieurs savants tels que الكِنــدِي (al-Kindî), الفارابي
(al-Fârâbî), صفيّ الدّين الأرموي
(Ṣafiyyu-ddin
al-Urmawî), etc…
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Loin
d’être anodines, ces
classifications leur ont permis de se situer dans un répertoire musical
bien
défini et de cristalliser un ensemble de réflexions fondées sur les
éléments
musicaux de ce répertoire. En revanche, la remise en question de la
signification
de ces termes placés dans cet ordre précis relève une ambiguïté
terminologique.
L'ethnomusicologie, dont l’objet porte sur l’étude des musiques de "
tradition " orale – pareillement populaire, traditionnelle et
religieuse –
parvient à déstabiliser ces classifications : la théorisation
d’une
musique orale par essence ne l'enlève-t-elle pas du rang des musiques
non
théorisées ? La transcription de cette musique n'en fait-elle pas
une musique écrite ? Quel rang pouvons-nous attribuer aux pratiques
musicales actuelles
et modernes ? Bien qu’elles soient inhérentes à l’analyse
musicale, les
réponses à ces questions dépassent les propos de cet article. La
référence à
une taxinomie liée à la nature même de la musique semble plus
appropriée dans
le présent contexte. La dualité musique vocale/musique instrumentale
peut
constituer un premier niveau général de classification à partir duquel
émaneront
d’autres niveaux plutôt complémentaires qu’opposés : musique
traditionnelle/musique moderne, musique ancienne/musique actuelle.
Ces prolégomènes
constituent une
alternative immanente à la situation du corpus musical mis en question
au cours
des lignes qui suivent. La musique instrumentale arabo-orientale, d’un
point de
vue historique, est beaucoup moins importante que la musique vocale. Il
en va
de même pour le nombre d’études qui l’ont concerné bien que toute la
théorie de
cette musique repose sur les instruments et leurs pratiques ;
notamment le
عود (‘ûd) [luth] et le
طنبور (ṭunbûr).
La question est loin d’être
terminologique. Il s’agit plutôt d’une réflexion autour de cette
musique et de
sa pratique actuelle ; d’une mise au point de plusieurs
éléments qui ont
fait d’elle à la fois une base théorique et un champ d’explorations
techniques
et esthétiques menant à l'élaboration de certaines formes et stratégies
compositionnelles.
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M’intéressant
plus précisément au عود (‘ûd) et à sa musique, je me
suis posé plusieurs questions quant à la
métamorphose patente de quelques éléments de sa conception
organologique et
l’évolution de sa pratique aussi bien au niveau du contexte qu’à celui
de la
manière de jeu même. Nous savons très bien que cet instrument est d’une
grande
importance dans la musique arabo-orientale de part son
histoire et sa
fonction technique et symbolique au sein du تخت (takht)
[orchestre]
traditionnel. Le عود (‘ûd)
détient cette importance en accompagnant le chant au
cours duquel il maintient le registre sonore de la chanson et assure un
fond
musical, constituant ainsi une base pour la prestation vocale du
chanteur. Ce
cadre musical limitait le jeu instrumental du
عود (‘ûd) à quelques
interludes
conçus par le compositeur ou improvisés par le ‘ûdiste (joueur de ‘ûd)
lui-même. Il n’est pas question, en l’occurrence, de parler de forme
musicale
instrumentale. En revanche, ces quelques interventions traduisent une
puissance
interprétative qui reflète une érudition et un sens artistique subtil
représenté par le pouvoir d’agencer les cellules "maqâmiques" d’une
manière fluide et cohérente censée mettre le chanteur dans un état
émotionnel
défini relativement à la dimension sémantique de l’œuvre interprétée. L'instrument
a aussi
gardé longtemps une « figure symbolique de la musique
traditionnelle dans
le monde arabe et s’est même nommé le roi des instruments de musique » [2]
;
une figure qui puise son symbolisme de la philosophie cosmique
arabe. [3]
Vers les années cinquante et
soixante du XXe
siècle, la prolifération des
instruments de musiques, notamment les instruments à archet et les
instruments
électroniques, dans le تخت (takht)
a fortement contribué à la régression
de l’importance du عود (‘ûd)
et au début de son déclin. Il ne reste de cette
dimension symbolique qu’une simple présence scénique faisant l'éloge
d’une
époque prestigieuse révolue.
Avec
ce développement de l’instrumentarium du تخت (takht),
il était évident
qu’on assistait à une évolution parallèle de la musique instrumentale.
La durée de l’introduction musicale de l’œuvre chantée a
considérablement augmenté. Il en va de même pour les interludes entre
le refrain
et les couplets. Un enjeu crucial s’est établi autant pour la qualité
acoustique des instruments que pour la qualité du jeu musical même de
l’instrumentiste. C’est dans cette perspective que le عود (‘ûd) a trouvé son
refuge en adoptant une nouvelle posture instrumentale sous
l’égide de
l’expression musicale moderne. La qualifiant en tant que "mouvement de
réhabilitation de la musique arabe et du luth oriental", Jean-Claude
Chabrier a esquissé les prémisses de cette posture. الشّريف
محيي الدّين حيدر (ash-Sharif
Moḥyîddine Ḥaydar), nommé aussi Targan en Turquie, musicien talentueux
d’Istanbul, a été « invité officiellement en Iraq où
mission lui est
confiée de régénérer l’enseignement de la musique » [4]
suite à une réputation acquise sur les scènes
américaines. [5]
A l’issu de cette initiative, l’Institut de
Musique de Bagdad a vu le jour et a connu la naissance de plusieurs
‘ûdistes
talentueux tels que les frères جميل بشير (Jamîl
Bashîr) et منير بشير (Munîr
Bashîr), سلمان شكر (Salmân
Shokr), غانم
حدّاد (Ghânim Ḥaddâd),
etc. Ces ‘ûdistes ont, à leur tour, contribué à une revalorisation de
l'instrument à travers l’exploration de ses champs expressifs
instrumentaux ; une exploration qui a aboutit à plusieurs
réinterprétations du patrimoine musical instrumental arabe et, aussi, à
de
nouvelles compositions liées à la prestation en solo.
L’école
de Bagdad a été donc un vrai terrain de départ offrant une nouvelle
ampleur à
la musique du عود (‘ûd)
de concert ; une musique qui semble détenir
d’autres éléments compositionnels dits "modernes" ou
"contemporains" par plusieurs solistes du monde arabe. Le propos de
cet article s’opère autour d’une analyse auditive de cette musique qui
devrait
permettre l’appréhension de ces nouveaux éléments autant pour leur
complexité technique
que pour leur valeur sémantique.
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[2] CHAKROUN
Haythem, Spatialisation
de la musique et musicalisation de l'espace, du réel imaginaire au
virtuel
réel. Nouvelle conceptualisation pour
repenser le coud(ﻋوﺩ),
Paris, Thèse de Doctorat en Musique et Musicologie du XXe siècle,
Université Paris IV-Sorbonne, 2004, p. 181
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[3] « (...) le
ﻋوﺩ (coud) (…) contient
des cordes au nombre symbolique de quatre qui se sont montrées en
concordance
avec les éléments cosmiques (terre, air, eau et feu) et les
tempéraments
humains (joie, tristesse, sérénité et colère) » ibid.
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[5] « (…)
un journaliste du New York Herald Tribune aurait écrit
"qu’il a fait sur le ‘ûd la
révolution que Paganini avait faite sur le violon". », ibid.
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