Le choix de l’œuvre L’abri d’al-Amiriyya du
luthiste iraquien Naseer Shamma (Né en 1963) ne s'est
pas fait d’une manière fortuite. Il est guidé
par une appréciation
personnelle qui incite à pénétrer au plus profond de l’œuvre et pousser
son
analyse. Tout d’abord, Naseer Shamma a entamé ses études musicales et a
pratiqué le عود (‘ûd)
au sein de l’Institut de Musique de Bagdad. Il faisait
donc partie de l’école moderniste instauré par Ash-Sharîf
Moḥyîddine Ḥaydar et a suivi les pas de ses prédécesseurs dans un seul
but : la revalorisation de la pratique instrumentale du عود (‘ûd)
de
concert. Auteur-compositeur-interprète, Naseer se fraye un chemin
musical qui
ne peut être perçu sans attirer une grande attention envers
une qualité
interprétative surprenante, une recherche particulière des sons et des
nuances
et, aussi, une large capacité d'agencer ses idées musicales d’une
manière
nouvelle, du moins inhabituelle. L’abri
d'al-Amiriyya constitue en l’occurrence
une parfaite illustration de son talent et une démonstration "modèle"
des caractéristiques de la musique du عود (‘ûd)
aujourd'hui.
La démarche analytique à laquelle nous
allons procéder se base tout d’abord sur une description détaillée de
l’œuvre
écoutée ; autrement dit, du matériau sonore mis à notre
disposition sous
un support donné et dans un contexte donné. [9] Cette
description sera sous-tendue par un
découpage dérivant de l’écoute de l’œuvre à plusieurs reprises et
répondant à
une démarche à base de données intrinsèques [10] dans une
première étape. Le cadre analytique
d’une musique arabo-orientale implique un traitement de cette base de
données
reposant sur la reconnaissance des divers changements
mélodico-rythmiques au
sein de l’œuvre dans un premier niveau. [11] Inhérente à
la procédure analytique, la
segmentation de l’œuvre permettra la détection des différents niveaux
de
l’interprétation musicale et dévoilera une bonne partie de la stratégie
compositionnelle qui la régit. Ceci conduira par la suite à un deuxième
niveau
de traitement : celui que Jean-Jacques Nattiez désigne
par « les renvois extrinsèques »
relatifs
à « l’univers sémantique et affectif »
ou à « l’évocation
d’éléments de la réalité du monde dénotés ou connotés par des sons. »
[12]
Toujours dans la même perspective analytique,
ce deuxième niveau de traitement confrontera l’élaboration d’une
qualité interprétative
par rapport à une dimension sémantique donnée. Nous nous contenterons
ici d’un
seul segment particulièrement caractéristique d’une conception moderne
de la
pratique instrumentale du عود (‘ûd).
L'absence
d’une échappatoire à la subjectivité analytique incite à la recherche
approfondie d'outils fiables et approuvés quant à l’utilisation de
l’analyse
auditive. Dans cette circonstance, les outils informatiques (Digital
Performer
et Audacity pour Mac OS X en l’occurrence) [13] permettent d’obtenir des
résultats
très concrets dont les plus essentiels sont :
* Une détermination précise du flux informationnel au niveau de l'espace
temporel de l'œuvre ;
* Une planification schématique des segments sur plusieurs critères
analytiques : forme d'onde, représentation spectrale, etc ...
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[9]
Nous
avons
affaire à un compact disc contenant
l’enregistrement du concert life
tenu
à l’Institut du Monde Arabe en 1994. L’analyse concerne donc l’exécution de L’abri d’al-Amiriyya (composée en 1991) en temps réel par
Naseer Shamma.
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[10] Jean-Jaques
Nattiez
qualifie cette démarche en tant que « renvois
intrinsèques et les définisse par « ceux par lesquels la musique renvoie à la musique à
l’intérieur d’une
même pièce ». NATTIEZ
Jean-Jacques,
« Sémiologie musicale et herméneutique : Une analyse et quelques
considérations épistémologiques
», Observation,
Analyse, Modèle : Peut-on parler d'Art avec les outils de la science ?,
(Textes réunis par Jean-Marc Chouvel et Fabien Lévy), Les Cahiers de
l'IRCAM, L'Harmattan, Paris, p. 152
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[11] Dans
la même directive de
l'analyse des مقامات
(maqâmât) [modes] arabes, Soufiane Feki
trace un tableau qui
montre les paramètres et les critères (répétition, contraste rythmique
et
mélodique, variation, développement et transformation, silences et
cadences,
modulations) d'une base intrinsèque. FEKI Soufiane, " Quelques
réflexions sur l'analyse du maqâm ", De la théorie à l'art de
l'improvisation : Analyse de performances et modélisation
musicale (Textes réunis et présentés par Mondher
Ayari), Paris, p. 146
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