La musique arabe, et en particulier celle du عود (‘ûd) de concert de
la
fin du XXème siècle, mérite d'être analysée dans toute sa complexité.
L’objet de
cet article est de mettre en évidence un nombre considérable d'aspects
qui ont été fort peu abordés dans les analyses précédentes. En donnant
la prépondéronce à l'écoute, plusieurs correspondances ont pu être
dégagées entre l’analyse formelle et l'exploration d’une pensée
compositionnelle. Le choix de L'abri
d’al-Amiriyya
de Naseer Shamma
renvoie aux métamorphoses que le عود (‘ûd) a nettement
subi sur les
plans de la composition et de l’interprétation. Les niveaux de
segmentation abordés au cours des lignes précédentes ont mis en valeur
quelques manières de "voir" l'œuvre en question ; certes différentes
mais éventuellement complémentaires quant à la conception du compositeur.[20]
L'analyse auditive a permi de mettre en évidence des aspects
fondamentaux de l'œuvre de Shamma. Malgré la part de subjectivité
inhérente à cette approche, nous parvenons à réaliser une
interprétation concrète de la réalité compositionnelle et
interprétative. En outre, la complémentarité dégagée entre la forme
d'onde et la
vue spectrale de l'œuvre constitue un résultat analytique important qui
nous a permi de mettre en valeur la manière dont les éléments
compositionnels sont régis.
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[20] Une
confrontation de l'analyse musicale dans cet article avec le point de
vue de Naseer Shamma serait d'une grande utilité pour confirmer ses
intentions compositionnelles exactes.
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La spécificité sémantique de cette pièce nous a amené à
évoquer d'autres éléments de l'ordre du
para-musical. L'étude du contexte et des circonstances
compositionnelles s'est avéré d'une extrême utilité dans
l'établissement d'un rapport direct avec certains aspects formels de
l'œuvre. Qui plus est, l'interprétation instrumentale de Naseer Shamma
renforce la spécificité émotionnelle liée à ce contexte. Le deuxième
niveau
de segmentation a été réservé à la partie la plus tendue de l'œuvre en
terme de déploiement spectral de l'énergie (selon la fig.4). Dans cette
partie, Shamma procède à une nouvelle technique d'interprétation basée
sur la valorisation du timbre de son instrument. L'aspect mimétique de
certaines séquences (sons d'hélicoptères ou sons de bombardements)
mène à un figuralisme musical qui reflète le contexte narratif de
l'œuvre. Dans la méditation musicale arabo-orientale, l'abstraction de
la musique instrumentale n'est pas du même poids que le
« verbal » de la musique chantée. C'est ainsi que le
figuralisme intervient pour donner de l'équilibre en remplaçant le
« verbal » par un « imaginaire »
stimulé par une
image sonore. Le figuralisme constitue une forme d'expression
artistique qui
parvient à établir un fil conducteur entre la musique et l'auditeur et
à
diffuser ainsi un message porteur d'un sens bien défini. C'est une
expérience
fascinante pour ses deux protagonistes : celui qui la produit et celui
qui la subit. La fascination est en relation directe avec l’événement
musical dans son état concret.
Son commencement est déterminé par le premier geste musical ou la
première note prononcée. Son achèvement se prolonge toutefois dans une
résonnance émotionnelle et méditative qui déborde celle de la dernière
note émise par l'instrument.
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