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Le timbre n’est pas qu’affaire de forme ou de propriété de
l’instrument. Le timbre est une propriété perçue dans la dimension temporelle,
qui est donc formée par le geste de l’instrumentiste. Ce geste est produit dans
une relation dialectique entre les possibilités de contrôle de l’instrument,
l’habilité motrice et l’imagination musicale de l’instrumentiste. Le geste instrumental
doit donc s’adapter aux contraintes mécaniques imposées par l’instrument. Dans
le cas du clavicorde, ces contraintes portent sur la manière d’attaquer, de
tenir et de relâcher la touche.
D’une façon générale, un jeu très percussif, comme certaines approches du piano,
n’a pas sa place sur cet instrument, en tout cas comme mode de jeu habituel,
car la corde doit être tenue un laps de temps suffisant pour vibrer et émettre
un son agréable. Donc les notes piquées ne peuvent être très courtes, sauf à
rechercher un effet sonore spécifique. Le clavicorde est proche de l’orgue ou
du clavecin sous cet aspect.
Le principe mécanique du clavicorde a peu évolué depuis son
origine. A la toute fin de l’époque historique du clavicorde, les facteurs ont
majoritairement adopté de grands modèles d’instruments libres. L’avantage évident
de cette disposition est la possibilité de jouer simultanément tous les intervalles,
y compris les secondes mineures. C’est impossible sur les instruments liés,
pour lesquels seule la note supérieure d’un tel accord sonne, et encore, accompagnée
du bruit désagréable produit par le choc de deux tangentes sur la même corde.
Cependant, les instruments liés, et même parmi les plus beaux instrument liés,
ont été produits très tard dans le XVIIIème siècle, par exemple par Christian
Gottlob Hubert (1714-1793) dans le monde germanique ou ibérique.
La liaison interdit le chevauchement des notes liées, et demande donc une attention
toute particulière au relevé des notes, sous peine de produire un bruit désagréable.
Dans la pédagogie des instruments à clavier, l’attention au relâchement des
notes est d’importance variable. Certaines écoles insistent absolument sur le
silence d’articulation entre les notes, alors que d’autres se préoccupent d’avantage
de l’attaque du son.
Pour d’autres instruments, comme le piano sans étouffoir (ou « pantaléon »),
ou bien le piano joué avec la pédale des étouffoirs enfoncée, contrôler le relâchement
n’a aucun effet, puisque la corde est libre dès que le marteau l’a quittée.
Le clavicorde, au moins dans sa version liée, insiste sans aucune ambiguïté
sur l’importance fondamentale de ce silence d’articulation. Le contrôle de la
touche doit être maintenu du début à la fin.
Un des meilleures façons d’associer vitesse et contrôle du déplacement est
de glisser le doigt vers la paume de la main en appuyant sur la touche. On sait
que cette façon de jouer en glissant les doigts était celle de Jean-Sébastien
Bach, d’après les sources de l’époque (Quantz, Carl Philipp Emmmanel Bach, Forkel).
Ce mouvement permet au doigt d’avoir une grande vitesse d’impact, mais en détournant
le mouvement après le contact, de ne pas trop déplacer la touche.
La sensation tactile en est accrue, ce qui renforce sans aucun doute la mémorisation
de la musique jouée. La vitesse de relâchement est également beaucoup plus grande,
et donc la fin des notes est plus nette qu’avec un mouvement vertical du doigt.
Pendant la tenue de la note, la sensation de mouvement permet de mieux contrôler
la pression sur la touche, qui règle l’intonation de l’instrument.
Ce mouvement est analogue, à l’envers, à la « pichenette » utilisée pour jouer
aux billes. Aux billes également, il faut communiquer de la vitesse à la bille,
mais sans la pousser trop, ce qui dévierait sa trajectoire.
Ce mouvement « tangentiel », par opposition au mouvement vertical du doigt,
a été remis à l’honneur au clavecin par des pédagogues comme Antoine Geoffroy-Dechaume,
en s’appuyant sur les textes décrivant le jeu de Jean-Sébastien Bach.
Ce mouvement ressemble au pincement de la corde du luth. Il est d’une certaine
façon analogue au mouvement d’échappement résultant de l’appui élastique du bec de clavecin sur la corde
ou de l’appui élastique de l’air sur la soupape d’un orgue, ressenti
lorsque la mécanique est directement suspendue.
Le mouvement de glissement du doigt sur la touche a été bien décrit au piano
par Marie Jaël, qui, elle, se réclame du jeu pianistique de Franz Liszt. Pour
Marie Jaël, ce type de mouvement accroit la sensation tactile, favorise le contrôle
de la sonorité et la mémorisation des œuvres travaillées de cette façon. Il
se retrouve chez de nombreux claviéristes contemporains, y compris au piano,
à la suite de l’exemple magistral de Glenn Gould. Mais au piano la problématique
est toute différente, puisque le jeu véloce ne change pas l’intonation.
Ainsi le clavicorde oblige à contrôler à la fois la vitesse et le déplacement
du doigt, ainsi que l’articulation entre les notes. La douceur du son est un
autre élément de concentration, concentration d’écoute qui invite à l’attention.
C’est probablement pour ces raisons que le clavicorde a été considéré par beaucoup
d’anciens, et par beaucoup de nos contemporains, comme une école exigeante et
enrichissante pour le jeu des instruments à clavier.
Cependant, l’écoute et l’analyse acoustique nous apprennent que le timbre du
clavicorde ne change guère de qualité, que l’on joue fort ou faible. Ce qui
change c’est l’intensité sonore, le bruit de choc de la structure, éventuellement
l’intonation, mais pas la richesse spectrale, qui est un élément clé de la qualité
sonore.
En ce sens, le contact rigide entre le métal de la tangente et celui de la corde
limite la possibilité de variation de timbre, et l’expressivité de l’instrument,
par rapport à d’autres cordophones à clavier, comme on va le discuter dans la
suite.
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