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Le clavicorde, le piano carré et l’épinette rectangulaire (ou
le virginal) sont au premier abord des instruments d’allure très semblable.
Si la caisse est fermée et la décoration sobre, il est difficile de savoir à
quel instrument on a vraiment affaire.
La forme de la caisse, les dimensions et les matériaux sont comparables, voire
identique dans certains cas. Par contre le timbre, les modes de jeu et les possibilités
sonores sont nettement différentes entre ces types de cordophones à clavier.
Les différences de timbre sont principalement dues aux différences dans la façon
de mettre en mouvement la corde : pincée, frappée et tenue, frappée et libre
avec un marteau dur, frappée et libre avec un marteau souple.
De ces modes d’excitation de la corde découlent des possibilités de jeu, de
timbre, et finalement des conséquences esthétiques, en relation avec l'évolution
du goût musical, et des autres familles d’instruments.
L’invention du clavier, ensemble de « clés », remonte à l’antiquité
tardive, avec les premiers orgues hydrauliques et pneumatiques. Le clavier ne
se développe dans sa forme moderne, des palettes de petite dimension actionnées
par les doigts, ou des barres actionnées par les pieds, qu’au XIVème siècle.
Le plus ancien instrument à clavier conservé est un orgue (Norrlanda, Suède,
milieu du XIVème siècle). Les cordophones à clavier sont documentés dès le haut
moyen-âge dans le traité bourguignon d’Henri Arnaud de Zwolle (1440). Les instruments
décrits ont déjà atteint une pleine maturité en ce milieu du XVème siècle. Trois
mécanismes sont décris et illustrés :
1. Un mécanisme à sautereau et bec, celui du clavecin (organologiquement et étymologiquement une cithare à clavier). C’est la corde pincée/libre.
2. Un mécanisme à tangent qui frappe et maintient la corde, celui du clavicorde. C’est la corde frappée/liée.
3. Un mécanisme de frappe de la corde par une pièce mobile, qui ne maintient pas la corde, mais la laisse vibrer librement, proche du piano ou du piano à tangente. C’est la corde frappée/libre.
Ainsi les principes des trois principales familles de cordophones à clavier sont attestés dès l’origine, même si le troisième type ne semble pas s’être développé à cette époque. Plusieurs représentations détaillées (mais aucun vestige d’instrument) du XVème siècle montrent la présence effective du clavicorde. Pour la corde pincée, il reste des représentations et un seul instrument du XVème siècle, le célèbre clavicythérium de Londres (probablement d’origine flamande ou germanique). Par contre rien n’atteste à notre connaissance la présence de cordophones à clavier et à cordes frappées/libres avant Cristofori à la fin du XVIIème siècle.
On peut décrire l’évolution des cordophones à clavier à partir des trois formes de mise en mouvement de la corde décrites par Arnaud de Zwolle :
1. Corde pincée libre : | ||
a. Plectre dur : clavecin, jeu de plume | ||
b. Plectre souple : clavecin jeu de buffle | ||
2. Corde frappée tenue : | ||
a. Clavicorde | ||
3. Corde frappée libre : | ||
a. Marteaux durs : piano à marteaux de bois, piano à tangente, pantalon, avec ou sans étouffoirs | ||
b. Marteaux souples : forte-piano |
A ces modes fondamentaux de mise en mouvement des cordes s’ajoutent des accessoires
pour modifier le timbre comme, le jeu de luth du clavecin, le jeu de basson,
la pédale de résonance ou la pédale céleste du piano etc.
Pour enrichir encore le timbre, des instruments composés, comme le vis-à-vis
(pianoforte/clavecin), le piano-clavicorde, le clavicorde-pantaléon, le clavecin
organisé, le piano organisé et même le clavicorde organisé, ont été construits.
Le virginal est décrit dès 1460 par Paulus Paulirinius, comme un clavicorde
avec un mécanisme de corde pincée. Pour faire sonner une corde pincée, un bec,
au départ taillé dans le tuyau d’une plume, soulève la corde à une certaine
distance de sa pointe de sillet. La corde forme donc un triangle, lorsqu’elle
échappe du bec, qui se ploie sous l’action de ressort de rappel que la corde
exerce lorsqu’on l’éloigne de sa position de repos.
La corde triangulaire libérée, deux points anguleux se propagent sur la gauche
et la droite du point de pincement, et vont se réfléchir au sillet et au chevalet,
mettant la table d’harmonie en vibration.
La forme anguleuse de la déformation de la corde provoque un signal acoustique
qui contient beaucoup d’harmoniques aigus.
L’épinette ou le clavecin produisent un son riche en hautes fréquences, et une
attaque très nette, due à l’angularité de la déformation qui se propage sur
la corde.
La corde est relâchée lorsque la tension sur le bec provoque sa flexion : la
vitesse de jeu n’influence pas en première approximation ce point de relâchement.
Ainsi le clavecin n’est-il pas « expressif » au sens ou abaisser vite ou lentement
la touche ne modifie pas l’intensité ni le timbre du son, en première approximation.
Au deuxième ordre, jouer plus ou moins vite change le mouvement de « roulement
» de la corde sur le plectre, ainsi que le choc plectre-corde et change donc
un peu le timbre ou l’intensité. L’amplitude, et donc l’intensité du son, est
importante car la corde est déplacée relativement loin de son point de repos.
L’instrument sonne relativement fort.
D’autres facteurs peuvent changer les son du clavecin, comme le cordage en boyau,
ou l’absence d’étouffoir.
Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, Pascal Taskin invente le jeu de buffle,
pour lequel le plectre en plume est remplacé par un plectre plus souple, en
cuir de bœuf.
La souplesse (relative) du plectre adouci la forme triangulaire d’excitation
de la corde, et permet un peu de nuance lorsque l’on abaisse vite ou lentement
les touches, de façon analogue (mais avec beaucoup moins d’amplitude) que le
marteau en cuir du piano.
La fin de l’âge baroque, à partir des années 1760-1770, est marquée par
l’éclipse relativement rapide du clavecin au profit du piano (ou forte-piano,
ou piano-forte), dans toute l’aire culturelle européenne.
Le piano était connu, sous une forme parfaitement viable et achevée du point
de vue organologique, depuis la fin du 17ème siècle. L’invention
de Bartolomeo Cristofori est d’emblée un coup de maître, le Gravicembalo col
piano et forte possède tout les éléments essentiel d’un piano : le mécanisme
d’échappement, l’attrape marteau, la couverture souple des têtes de marteau,
les étouffoirs. Ce ne sont donc pas des raisons de maturité technique (même
si la facture de l’instrument a été affinée par la suite) qui on prévenu son
utilisation à grande échelle plus tôt dans le siècle, mais bien des questions
de diffusion liées au goût et au style musical. Alors que le piano en forme
de clavecin est d’origine florentine, le piano carré, qui emprunte la forme
de caisse du clavicorde, semble d’origine allemande.
L’instrument, fort semblable au clavicorde par sa caisse et son cordage, en
diffère fondamentalement par le mode d’excitation des cordes. La corde est frappée
par un petit marteau recouvert de cuir souple. Le contact crée une déformation,
relativement arrondie, qui se propage vers les deux extrémités de la corde,
entre le sillet et le chevalet. Le marteau n’est pas en contact avec la corde,
qui vibre librement.
Le matériau souple qui recouvre la tête du marteau est compressible. En fonction
de la vitesse du marteau, le choc marteau corde est plus ou moins violent (la
vitesse du marteau augmente son énergie cinétique), et la couverture de la tête
de marteau est plus ou moins comprimée.
Pour un jeu rapide de la touche, le marteau est très comprimé, moins élastique,
et la déformation de la corde est anguleuse : le marteau semble dur. La conséquence
acoustique est un spectre riche en fréquences aigues. L’amplitude du son est
importante.
Au contraire pour un marteau lancé avec une vitesse plus faible, la couverture
de la tête est souple, elle amorti le choc. La déformation de la corde adopte
une forme plus arrondie. La conséquence acoustique est un son avec moins de
fréquences aigues, plus de « rondeur », par la prédominance des harmoniques
graves. L’amplitude du son est également moins importante.
Le piano apporte donc une évolution radicale de la sonorité par cette possibilité
de changement de timbre lorsque l’on joue plus ou moins fort. Tout comme dans
la voix humaine, la différence de timbre entre la nuance piano et la nuance
forte n’est pas seulement dans la différence d’amplitude ou d’intensité, mais
aussi et surtout dans la différence de richesse spectrale. Un son « doux »,
piano, est pauvre en hautes fréquences, alors qu’un son « fort », forte, est
spectralement riche.
Cette expressivité « vocale » n’est sans doute pas étrangère au succès complet
du piano et à l’effacement total du clavecin au tournant du XIXème siècle.
Si l’on compare au clavicorde, le jeu forte ou piano du clavicorde ne change
que peu la richesse spectrale : le contact est toujours dur. De plus la corde
libre du piano permet une amplitude de vibration de la corde beaucoup plus importante
que celle du clavicorde. Le piano est donc à la fois plus puissant, et d’une
expressivité différente pour ce qui est des nuances fort-faible, avec une dimension
supplémentaire de richesse spectrale, et une dimension en moins de contrôle
de l’intonation. Il demande également une technique différente, car la corde
est libre après le contact du marteau. Le contrôle du mouvement du doigt n’a
pas d’importance pendant la tenue de la note.
Lors du second développement du piano, le piano carré allemand, sont apparus
des instruments dont les marteaux sont fait de bois dur, sans couverture de
cuir souple. Certain auteurs pensent que l’origine des marteaux de bois dur
peut être attribuée à l’analogie avec le tympanon (ou dulcimer à maillet).
Le début du XVIIIème siècle a en effet connu le succès retentissant de Pantaléon
Hebenstreit avec son grand tympanon de 5 octaves, dénommé « pantaléon » par
Louis XIV en honneur de son créateur.
Le pantaléon est joué par des maillets dur ou mous, afin de varier le son. De
plus, cet instrument ne possède pas d’étouffoir. Toute corde jouée vibre librement
jusqu’à l’extinction naturelle du son.
Le piano à marteau de bois dur, dont on trouve d’assez nombreux exemplaires
sans étouffoirs, pourrait être dérivé du pantaléon. La sonorité est riche en
fréquences aigues, tout comme le clavecin, mais l’attaque du son un peu moins
incisive et moins nette. Le fait de jouer plus ou moins vite la touche change
l’amplitude de vibration de la corde, mais marginalement son timbre.
Un instrument de construction un peu différente, mais dont le résultat acoustique
est très voisin est le piano à tangente (TangentenFlügel). Il s’agit d’un instrument
allemand, dont la durée de production a été relativement brève, dans la seconde
moitié du 18ème siècle.
La touche projette sur la corde une tangente de bois dur ou de métal qui retombe
sous son propre poids, laissant la corde vibrer librement. Il s’agit donc d’un
système semblable à celui des marteaux durs dans son principe.
Les instruments à marteaux dur, avec ou sans étouffement, offrent des possibilités
acoustiques très proches de celle du clavicorde. Le jeu piano-forte augmente
l’amplitude du son, mais sans en changer beaucoup le timbre. L’avantage par
exemple du piano à tangente est un son plus fort que celui du clavicorde, qui
peut par exemple se prêter au jeu en concerto. Par contre le grand attrait du
clavicorde, le contact continu du doigt avec la corde et donc la possibilité
de modulation de l’intonation, est perdu.
Les comparaisons avec le piano-forte et le clavicorde ne sont donc guère favorables.
Ces instruments ne seront de fait produits que pendant une période assez brève,
et par un petit nombre de facteurs en Allemagne.
Le tableau 2 résume les propriétés des différents cordophones à clavier, en regard du timbre du clavicorde.
Tableau 2 : le contrôle et le timbre des cordophones à clavier
Clavicorde | fortepiano | Piano à tangente | épinette | |
Vélocité/attaque | Contrôlée | Contrôlée | Contrôlée | Peu d’effet |
Pression/tenue | Contrôlée | Pas d’effet | Pas d’effet | Pas d’effet |
Résonance | Etouffoir | Contrôlé | Contrôlé/absent | Etouffoir |
Amplitude sonore | Variable/moyenne | Variable/forte | Variable/forte | Fixe/forte |
Richesse spectrale | Peu d’effet | Controlée | Peu d’effet | Peu d’effet |
Intonation | Variable | fixe | fixe | fixe |
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