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Je ne m’intéresserai ici qu’au comportement temporel de la texture de fond, en relation avec le comportement musical. Cette texture présente plusieurs caractéristiques, dont l’existence d’une signification qui ne peut apparaître que dans la confrontation entre ce qui se passe à l’écran et le programme ; une œuvre programmée n’est pas un écrit d’écran, on ne peut si aisément négliger le programme, celui-ci n’est pas une partition mais une composante intrinsèque de l’œuvre. Bien que cette dimension ne soit pas directement reliée à la dimension temporelle, il est impossible de ne pas l’aborder à propos de cette trame.
La capture vidéo ne présente qu’une fraction de l’animation. Son seul but est de donner un aperçu de la texture. Le lecteur intéressé pourra se reporter à l’œuvre elle-même. Cette séquence est publiée, avec d’autres, sous forme d’un exécutable indépendant dans la revue brésilienne texto digital (choisir l’icône rouge dans le menu). La musique utilisant fortement les basses, il est nécessaire de posséder une sortie son de bonne qualité.
Les UST visuelles n’ayant pas encore fait l’objet d’une modélisation éprouvée, la dénomination utilisée pour caractériser ici les processus temporels visuels peut sans doute être discutée au cas par cas.
Ce texte est adapté d’une partie d’une communication faite en 2007 dans le cadre du séminaire d’Alexandre Gherban « poésie : numérique ».
Le cluster temporel a-media de la séquence
La musique qui accompagne l’animation de la trame est composée d’une combinaison de trois UST : un « Obsessionnel » (de période 250 ms) qui correspond au rythme basique de la batterie, sur lequel s’ajoute un « En flottement » (événements aléatoires ici donnés par le timbre) puis, à la fin, une « Trajectoire inexorable » (l’intensification finale du son) suivie d’un « sur l’erre » (le décroissance finale du volume). J’ai voulu faire dialoguer ces 3 UST sonores avec le visuel. Pour cela, un Obsessionnel a été reconstruit avec l’animation rythmique d’une forme graphique située à la gauche de l’écran, calée sur la même période que le visuel. Dans l’hypothèse du multimédia a-média, cet Obsessionnel visuel et l’Obsessionnel sonore doivent pouvoir être confondus par la perception et considérés comme un tout. Cela ne signifie pas que musique et graphisme fusionnent, mais simplement que ce processus temporel est le même dans les deux modalités. C’est pour obtenir cet effet que l’Obsessionnel a été « introduit », à la fois en terme sonore (le début du morceau est répété 2 fois) et en terme visuel (la saccade démarre) de façon enchevêtrée : cette « présentation » alternée des éléments invite à lire la suite (c.a.d. le moment où animation visuelle et battement sonore sont simultanés) comme un ensemble.
Parallèlement à cet Obsessionnel, le « En flottement » a été traduit visuellement par un processus progressif qui coure sur toute la seconde partie de l’animation : le « scintillement » de la texture de fond. Il ne s’agit pas d’un En flottement pur mais plutôt d’une Trajectoire inexorable sur laquelle se superpose l’En flottement. Ce processus utilise 18 fois la même image superposée en encre inverse dans l’animation. On ne voit jamais cette image dans l’animation. Il s’agit d’une photo de la plus grande dalle d’ammonites fossiles au monde. J’aime le symbole : les ammonites étaient invisibles, recouvertes d’une couche de pierre, elles retournent ici dans cet écrin qui les rend invisibles, recouvertes d’elles-mêmes. Dans l’animation de la texture, chaque image est animée d’un mouvement brownien. C’est la gestion de ces mouvements browniens qui va construire, sur la même base de temps, les mêmes médias et les mêmes processus élémentaires, des figures temporelles différentes repérables en UST. Dans un premier temps (le scintillement à grain fin du début de l’animation de la texture – ce temps n’est pas présent sur la capture vidéo), toutes les couches sont animées du même mouvement d’amplitude maximale 1 pixel. Il s’agit d’une UST « Stationnaire ». Puis l’amplitude du déplacement augment de façon différente pour chaque couche : on passe alors progressivement à une Trajectoire inexorable (le chaos augmente) doublé d’un En flottement (des patterns granuleux aléatoires apparaissent comme dans un moiré). Sur la fin (cette transition est assez visible quand on y prête attention), lorsque la Trajectoire inexorable apparaît dans le son, au mouvement brownien se superpose un basculement aléatoire de la visibilité : toutes les couches ne sont plus visibles en même temps. Ce sont ces trous qui permettent de créer visuellement des figures plus géométriques au sein du scintillement (effet moiré). Il y a ainsi accroissement du désordre (l’ordre local est plus important et donc son caractère aléatoire, source du désordre, est plus visible). Cet accroissement du désordre s’accompagne d’une diminution d’opacité d’un cache qui recouvre ces 18 couches. L’opacité de ce cache gère la dominante colorée du scintillement et l’intensité de celui-ci : lorsque l’opacité de ce cache est forte, le scintillement paraît presque fantomatique, lorsqu’elle est faible, le scintillement se double d’irisations très colorées aléatoires. Cette importance progressive du scintillement construite par la diminution d’opacité du cache mais également par le déplacement latéral du « fond stable » gauche contribuent à créer l’UST visuelle « Trajectoire inexorable » qui répond alors tout à fait à celle de la musique. Pourtant, au niveau de la temporalité, l’évolution de l’UST visuelle n’est pas calée sur l’augmentation de l’intensité sonore : elle se contente de reproduire la même forme élémentaire de l’UST. A noter que le pas élémentaire du scintillement est également de 250 ms ce qui renforce « l’obsessionnel ». Réalisant ainsi un cluster a-media, la musique, le scintillement et l’animation rythmique du motif coloré gauche forment ensemble le « fond ».
Figure 1 : la dalle d’ammonites et scintillement dont elle est le matériau (vers la fin de la séquence)
Remarquons que, dans la partie intermédiaire, le scintillement tient des UST « Stationnaire », « En flottement », et « Trajectoire inexorable », toutes UST qui présentent des analogies formelles (temporalité longue et variabilité) qui s’opposent à l’« Obsessionnel » (temporalité courte et répétition mécanique). Cette dichotomie mise en place dans la musique est travaillée à plusieurs niveaux dans le fond visuel comme il vient d’être expliqué.
Ce cluster est couplé à un cluster expressif lié à l’animation du texte et à un niveau linguistique.
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