2. L'analyse sémiologique de la musique électroacoustique

2.2 L'apport des outils multimédia

Dans le tableau suivant, j'essaie de montrer de façon synthétique comment de nombreux musicologues conçoivent l'analyse esthésique inductive de la musique électroacoustique à l'aide des outils multimédia. Ici, l'analyse de type poïétique n'apparaît pas.


Figure 3. L'analyse esthésique inductive de la musique électroacoustique à l'aide des outils multimédia.

Le tableau se lit de gauche à droite. L'analyste part de l'enregistrement sonore (en gris, sur le tableau) qui est le niveau neutre. En haut, à gauche du tableau, est indiqué le type de musique : soit un flux segmentable en unités sonores, soit un flux constitué de trames complexes ou d'un nombre élevé d'unités sonores par rapport au temps.

Dans l'objectif d'une analyse de type esthésique d'une œuvre électroacoustique, le musicologue réalise, si c'est possible, une segmentation du flux musical en différentes unités perceptives ou fonctionnelles (en rose, sur le tableau), à partir de l'enregistrement sonore.

L'outil multimédia (en vert, sur le tableau) peut apporter une aide à la segmentation. Et ici je voudrais ouvrir une petite parenthèse concernant le rapport entre l'outil multimédia et le projet sémiologique de Jean-Jacques Nattiez.

Par ailleurs, l'Acousmographe de l'Ina-GRM permet aussi une écoute instrumentalisée : l'analyste peut cibler son écoute sur un petit extrait du flux musical par la mise en boucle ; il peut également écouter le flux au ralenti, en accéléré ou à l'envers. Ce type de logiciel est très efficace pour la segmentation des œuvres en unités morphologiques.

Pour les musiques de flux, l'apport des outils multimédia de type Acousmographe peut s'avérer très limité. Dans ce cas, les analystes s'orientent plutôt vers les descripteurs audio qui vont aider au repérage de l'évolution de certains paramètres dans le flux musical.[2]

Voici un exemple d'écoute augmentée qui m'a permis de réaliser une transcription très précise de Gesang der Jünglinge de Karlheinz Stockhausen.


Vidéo 1. Extrait de Gesang der Jünglinge de Stockhausen, transcription et sonagramme.

Gesang der Jünglinge de Stockhausen est une pièce majeure du répertoire électroacoustique, composée en 1956 à la radio WDR de Cologne. Elle est fondée sur un texte sacré, « le cantique des trois jeunes gens dans la fournaise ». Stockhausen y mélange l'enregistrement du chant d'un jeune garçon avec des sons électroniques.

Dans cette vidéo, on peut voir (de haut en bas) la forme d'onde, le sonagramme et la transcription. Je rappelle que le sonagramme représente, suivant l'axe des temps, l'évolution spectrale du son, l'intensité étant représentée par des nuances de gris.

Ici, on observe une alternance entre des volées d'impulsions et des masses chorales. Les volées d'impulsions sont constituées par de petites impulsions électroniques représentées par des points qui évoluent en nuages. Les masses chorales sont représentées par du texte encadré en vert. Elles sont réalisées à partir de la superposition de différentes bandes sonores sur lesquelles sont enregistrés différents chants interprétés par le jeune garçon.

Dans cette vidéo, on peut à la fois entendre et visualiser les masses chorales et les volées d'impulsions qui dessinent une forme particulière.

L'auditeur, qui dans les années 80 ne disposait que de son oreille pour appréhender le flux délivré par les haut-parleurs, dont témoignait François Delalande, voit son écoute augmentée par la perception visuelle. L'outil multimédia augmente la réception de l'œuvre électroacoustique.

Après cette parenthèse, je reviens au tableau sur l'analyse esthésique inductive de la musique électroacoustique.

Après la segmentation en unités morphologiques ou le repérage de l'évolution de certains paramètres dans le flux musical, l'analyste va réaliser une transcription graphique (en jaune, sur le tableau). La transcription sert à visualiser les informations perceptives pertinentes repérées dans le flux musical grâce à une écoute naturelle, instrumentalisée ou augmentée.

Les outils multimédia permettent un repérage temporel très précis des événements sonores, que l'on reporte sur un plan graphique vierge, celui de la transcription, en utilisant tout une palette d'outils graphiques.

Enfin, l'analyse (en marron, sur le tableau), est réalisée à partir des éléments présents sur la transcription : l'analyste examine l'agencement des unités morphologiques pour en déduire soit une forme, soit l'évolution du matériau musical, selon le type d'œuvre électroacoustique.

Pour conclure sur l'analyse de type esthésique inductive, j'avancerais l'idée selon laquelle il s'agit avant tout d'un processus linéaire, comme le montre le sens des flèches sur le tableau.

 

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[1] Logiciel disponible via http://www.inagrm.com/accueil/outils/acousmographe (13/04/2015)

[2] Voir la présentation de Pierre Couprie au séminaire « Geste sonore et paramètres, L'analyse musicale à l'heure des outils multimedia », Université Paris Sorbonne, 23/01/2015 : Quelques réflexions sur l’usage des descripteurs audios dans l’analyse de la musique électroacoustique, disponible sur le site de Musimediane via http://www.musimediane.com/spip.php?article167 (13/04/2015)


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