Dès le début du XXe siècle, de nombreux artistes ont recherché dans la musique les règles d’une organisation structurelle des formes. L’immatérialité de la musique offrait des pistes — peut-être même un langage — permettant d’envisager une rupture avec la mimesis, un abandon de la représentation du réel, une conception dynamique des formes et de leurs relations. On connaît l’attrait du musical dans les travaux de Kandinsky, de Klee ou de Van Doesburg, pour ne citer que ces trois figures marquantes, pour lesquels la notion de rythme alimente toutes les audaces formelles(1). C’est une recherche de rythme — non plus induit par les formes, mais dans sa manifestation temporelle — que des artistes comme Hans Richter (1888-1976) ou Viking Eggeling (1880-1925) vont explorer, à partir de la fin de la première guerre mondiale, dans l’excitation créatrice féconde du mouvement Dada. Il s’agissait alors de transposer les règles de la composition musicale dans des films d’animation abstraits et d’imaginer une sorte de langue universelle qui parlerait à la fois aux yeux et aux oreilles. La recherche de cette nouvelle harmonie visuelle prendra donc appui sur le modèle musical.
Rhythm 21 est un film d’animation de 35 mm, muet et en noir et blanc, d’une durée de 3’26’’ et réalisé par Hans Richter en 1921. Il s’agit de l’une des premières œuvres abstraites du cinéma, dans laquelle Richter propose une composition dans l’esprit du contrepoint musical traditionnel, appliqué à des formes géométriques simples (rectangles blancs, noirs ou grisés sur fonds blanc ou noir). L’artiste joue sur le déplacement de ces formes ou leur transformation (le plus souvent, il s’agit d’agrandissements homothétiques), en utilisant un canevas structurel qui ménage des effets de répétition (imitation canonique), de variation, de strette ou de point d’orgue, en un mot, une structure composée selon des formes temporelles empruntées à la musique.
Cette œuvre a été choisie pour une analyse en UST et en MTP car, d’une part, l’animation de formes abstraites réduit le nombre de lectures sémiotiques (on se concentre alors sur la sémiotique temporelle) et, d’autre part, le traitement musical des formes graphiques dans cette œuvre présente une certaine variété. Rhythm 21 est la première œuvre cinématographique que nous avons soumise à notre analyse.
(1) Voir KANDINSKY Wassily, Point et ligne sur plan, trad. de S. et J. Leppien, réimpression [1re éd. 1926], Paris, Gallimard, 1991, KLEE Paul, Théorie de l’art moderne, trad. de P.-H. Gonthier, réimpression [1re éd. 1925], Paris, Denoël, 1985, ainsi que VAN DOESBURG Theo, Principes fondamentaux de l'art néo-plastique, trad. de I. Ewig, réimpression [1re éd. 1925], Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2009.