Les chants parallèles de Luciano Berio par Laurence Bouckaert
Dans Les chants parallèles, la segmentation de la forme en trois parties, séparée en son centre par un point de tension maximum montre une architecture très répandue dans la musique électroacoustique et laisse à penser que Berio n’a pas cherché à innover sur ce plan. En revanche l’étude des objets sonores et ce que l’oreille perçoit, c’est cette articulation de la voix chantée avec les sons de synthèse. Son affection toute particulière pour la voix l’a conduit à s’éloigner fortement de ce timbre pour en découvrir d’autres, ceux issus de la synthèse analogique. Aussi au travers de cette analyse, on peut se demander comment Luciano Berio a vécu cette expérience ?
Une première idée de son approche de la musique électronique ressort dans un entretien avec Rossana Dalmonte : « On remarque (…) que “les possibilités infinies de la musique électronique“ étaient une expression vide de sens (…) parce que ses possibilités concernaient avant tout le niveau acoustique et manipulatoire de la musique et non le niveau conceptuel, qui s’appauvrissaient rapidement pour laisser la place à d’encombrantes (et parfois séduisantes) poubelles électro-acoustiques. »[1]
Comment Berio examinait-il cette musique? Comme une porte ouverte sur le risque. Parce qu’un court instant, elle peut séduire l’oreille, nous flatter et nous distancier du propos initial.
Même s’il s’agit d’un outil supplémentaire au service d’une expression, là aussi, Berio se sent désavantagé. La chaîne de la reproduction sonore manque formidablement de fidélité.
En 1967 il écrit : « Avec le son du rock manipulé électroniquement, on est dans une situation assez semblable à celle de la musique électronique : si la fidélité de la reproduction est sacrifiée, le contenu de l’enregistrement en souffre de façon disproportionnée parce que ce qui se perd ne peut pas être compensé par l’auditeur et se trouve irrémédiablement perdu. Il arrive que le rock, comme la musique électronique – tous deux créatures de la radio et de sa machinerie de masse – soient paradoxalement incompatibles avec les moyens de diffusion qui en ont provoqué le développement. »[2]
Comme Varèse à son époque, cette réflexion laisse à penser que les outils technologiques sont insuffisants à traduire, à reproduire la pensée du compositeur, sans passer par une forte altération. Luciano Berio, dans Les chants parallèles, a choisi un autre matériau, pratiquement opposé en tous points, la voix chantée. Cet élément vivant, qui touche l’humain d’une manière qui lui est propre, s’impose. Il vient contrebalancer le poid du son figé issu de la synthèse. Si la voix a pour fonction ici de soutien, de fondation, Berio confie la structuration syntaxique et articulatoire à la synthèse sonore. C’est pour lui un moyen de s’approprier ce matériau en proie à l’amoindrissement dans son contenu sonore retransmis.
[1] KALTENECKER Martin, traduit de l’Italien et présenté par, Luciano Berio Entretiens avec Rossana Dalmonte, Paris, éd. Jean-Claude Lattès,1983, p.165-166.
[2] BERIO Luciano, Commentaires sur le rock [1967], Farândola, 2006, p.7.
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