Les deux principes structurants du film consistent :
Les principes formels sont essentiellement les suivants :
Concernant le son, la décision a été prise de ne pas utiliser les bandes sonores des films originaux et d’assumer le rôle de la musique en tant que créatrice d'espaces.
Ces principes découlent d'un positionnement éthique face aux images, et, surtout, d'un questionnement sur la validité esthétique et historique du matériel d'archive[1].
L'absence de matériels filmés par l'opposition au régime posait un problème essentiel. Une question s'est imposée dès lors : comment montrer l’envers d'un régime autoritaire à travers des images produites, dans leur majorité, par la dictature elle-même?
Au gré de la recherche d'images, la réalisatrice s'est aperçue qu’à l'intérieur d'une image apparaissaient, parfois, des détails significatifs, qui ne sont pas vus habituellement. Quelquefois ces détails pouvaient même constituer des signes de désintégration interne du message que l'image prétendait véhiculer - une sorte de "malaise" dans l'image.
La recherche de ces symptômes est devenue le fondement du film lui-même. D’où la nécessité de ralentir la vitesse, de recadrer l'image, de décomposer un unique plan en plusieurs pour laisser apparaître ce qui n'est pas visible, ce qui n'était pas perceptible, à la surface, dans un premier temps.
Quant au changement de la vitesse habituelle de défilement en des rythmes différents, l'idée n'est pas seulement de mettre en relief l'un des traits d'exception de l'image, mais de créer une espèce d'agrandissement spatio-temporel qui rende possible l'émergence de ce qui n'était pas visible avant.
Exemple 03 Explosion : (1) vitesse normal (rush originel). | Exemple 04 - Explosion : (2) ralenti (dans le film, à partir de 00:05:45). |
D'autre part, la nécessité de la juxtaposition de plans noirs et le recours aux fondus relèvent d’une option esthétique qui est également dictée par une position éthique. Ce positionnement imposait de ne pas mélanger des images provenant de divers contextes qui, au travers du montage, pouvaient produire des sens nouveaux extrapolant le contenu de l'image originale elle-même. Parfois le son a cette même fonction de séparation.
L'absence de recours à un texte ou à un commentaire a rendu cette démarche extrêmement complexe.
Habituellement, les documentaires historiques construisent un discours logique qui tend à expliquer le passé. Couramment on suit les mots et on oublie les images. D'autre part, il est fréquent de confondre une image d'un événement passé avec l'événement réel du passé lui-même.
Or, le point de départ du film a moins été de partir des faits objectifs du passé, que du mouvement qui nous les rappelle et les construit, supposant qu'un "fait du passé" soit toujours un "fait de mémoire", que l'histoire ne constitue pas un savoir fixe et qu'une image est toujours un objet complexe et temporellement impur[2]. Natureza Morta se construit ainsi en croisant différents temps (des images, du récit, de l'histoire, du présent du spectateur), en incorporant l'anachronisme, en mettant en évidence cette prégnance temporelle.D’où l'importance de ne pas contraindre l'image par le mot. Quand le discours verbal est dominant, quand le récit subsume l'image (fait habituel dans les documentaires historiques), celle-ci cesse de briller dans sa singularité, car le statut d'événement visuel lui est alors nié. Le problème réside essentiellement dans le fait que l'utilisation de l'image, dans certains contextes, élimine sa valeur d'existence, son statut ontologique.
Ainsi, on privilégie le champ du "voir" sur celui du "savoir" en cherchant, à travers la structuration narrative, à créer des points de référence, même s'il s’agit de dialectiser, comme l’affirme Georges Didi-Huberman, un des auteurs de référence du film, de rester toujours dans un dilemme «entre savoir et voir, entre savoir quelque chose et ne pas voir autre chose, mais voir quelque chose en tout cas et ne pas savoir quelque autre chose»[3].Du point de vue sonore, Natureza Morta n’utilise que de la musique électroacoustique pour la bande-son : il n’y a ni commentaire, interview, bruitage, ni bande sonore originale (celles qui accompagnaient les images choisies).
En règle générale, le son utilisé n'était pas le son pris directement. De fait, normalement, les films de propagande du régime ne contenaient qu’un commentaire soutenu par une musique, les deux réalisés en postproduction.Un des principes fondateurs du film a d'abord été d'enlever la bande son accompagnant les images afin de leur permettre de s'exposer totalement.
Exemple 01 | Exemple 02 |
D’autre part, la recherche d’une musique à caractère dysnarratif, inscrite elle aussi dans la rupture avec l’« illusion de réalité » exprime également l’enjeu dans la construction musicale. Nous avons toujours considéré que l’arbitraire de l’acte de création autorisait la mise en jeu de procédures montrant ce même arbitraire tout en se permettant d’écarter, parfois, des mécanismes garantissant une logique musicale de cause à effet (la formule de cadence en est un exemple) : une musique qui ne raconte rien du tout ; qui à la limite nous présente des stades, des situations, des « descriptions » et dont le mouvement existant est un déploiement, une pérégrination dans un espace.
Notes :
[1] Susana de Sousa Dias de Macedo, De l'Inventaire à l'Invention (...), Lisbonne, 2005.
[2] Georges Didi-Huberman, Devant le temps (...), Paris, Minuit, 2000.
[3] Georges Didi-Huberman, Devant l'image (...), Paris, Minuit, 1990.