Du signe au son : dans la forge d’un chef d’orchestre

Ingrid Pustijanac
Chef du groupe de recherche DALM / Dialogic Approaches to Living Musics (Approches dialoguées des musiques vivantes)
Département de musicologie et du patrimoine culturel - Université de Pavie

Imaginez que vous êtes un chef d’orchestre à qui l’on demande de diriger Les espaces acoustiques de Gérard Grisey, un magnifique cycle de six pièces qui, partant du Prologue (1976) pour alto solo, élargit l’espace sonore à travers Périodes (1974) pour sept musiciens, Partiels (1975) pour 16 ou 18 musiciens, Modulations (1976) pour 33 musiciens, Transitoires (1980-81) pour grand orchestre, pour aboutir à Épilogue (1985) pour quatre cors et grand orchestre. En tant que chef d’orchestre probablement déjà engagé dans l’interprétation de la musique contemporaine, vous avez peut-être déjà dirigé les pièces de chambre de ce cycle (Périodes et Partiels), car elles font désormais partie du répertoire des ensembles de musique contemporaine et aussi des ensembles des conservatoires les plus engagés dans la musique contemporaine. Au contraire, il se peut aussi que ce soit la première fois que vous abordez la musique spectrale, en général, et ce cycle, en particulier ; et sans doute avec beaucoup d’excitation et un soupçon de panique. Mais n’ayez crainte. Cet article est destiné à servir de guide imaginaire à travers les étapes possibles qui mènent d’une proposition initiale de performance à l’actualisation du cycle entier. Ce parcours ne se fera pas de manière abstraite, ne se basera pas non-plus sur mon expérience personnelle en tant que chef d’orchestre [1], mais s’appuiera sur le vaste matériel rassemblé lors du projet « Interpréter Les espaces acoustiques de Gérard Grisey » par les membres du groupe de recherche Labex GREAM (devenu ensuite ITI CREAA) Pierre Michel, Nathalie Hérold, Camille Lienhard et moi-même, concernant les répétitions des Espaces acoustiques pour le concert de l’orchestre d’étudiants de la Zürcher Hochschule der Künste (ZHdK) à la Tonhalle de Zurich le 22 avril 2016, sous la direction de Pierre-André Valade. Comme l’ont souligné Pierre Michel et Nathalie Hérold dans leur présentation du projet [2], les différents matériaux collectés (composés de vidéos de répétitions, de vidéos d’interviews, et de photos de partitions annotées par le chef d’orchestre) ainsi que l’acte même d’observation participative lors des derniers jours de répétitions par les membres du groupe de recherche constituent une opportunité unique de traiter les multiples perspectives d’interprétation pour l’étude des Espaces acoustiques. La relation entre l’idée musicale, la notation et sa réalisation sonore sera adoptée comme fil conducteur. Par conséquent, en plus du matériel audiovisuel, des commentaires sur certaines pages des partitions annotées du chef d’orchestre seront utilisés à plusieurs reprises [3]. La considération de partitions annotées comme aide à l’étude a fait l’objet de diverses réflexions méthodologiques et de recherches sur la pratique de l’interprétation à une époque relativement récente [4]. En partant des différents signes annotés sur des pages spécifiques des partitions, on mettra en lumière, outre des informations technico-analytiques précises, un certain nombre de réflexions sur les traces de l’analyse, de la lecture et de l’interprétation de la composition révélées par les partitions annotées et le système complexe de références à l’idée musicale qu’elles contiennent.


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