L'écoute attentive comme base pour l'analyse des musiques électroacoustiques

Antonio ALCÁZAR


 

“L’analyse du fait musical est interminable” (Molino 1975: 58)

Introduction

La connaissance du phénomène perceptif humain dans toute son étendue est une tâche inépuisable à cause de la multiplicité et de la complexité des significations évoquées chez chacun de nous. De même, la tentative de rassembler l’immense diversité des écoutes musicales chez les différents individus est une tâche sans fond.

Cependant, et malgré ces limitations inévitables, nous ne pouvons abandonner l’entreprise qui consiste à nous approcher autant que possible de l’acte fascinant et invisible de l’écoute. À notre avis, la voie la plus appropriée est d’interroger les sujets eux-mêmes sur ce qu’ils ont entendu. Ce qu’ils manifestent, convenablement mis en relation, ordonné et catégorisé offrira quelques lumières sur leurs perspectives ou stratégies d’écoute et serviront de socle de référence pour entreprendre une analyse musicale sur la base des données réelles recueillies.

L’orientation méthodologique et analytique que nous proposons constitue une ligne de recherche ouverte par François Delalande dans différentes publications (1989 a, 1998, 2013).

1. Point de départ

Les méthodes utilisées habituellement en analyse musicale s’appuient généralement sur un objet matériel, la partition, comme point de départ et de référence tangible pour appliquer les différents processus propres à l’analyse : description localisée d’éléments, évolutions, transformations, segmentations, à la recherche de structures, de formes, de constructions. La partition, en tant que support écrit, permet une étude et des conclusions de nature très différente, selon les systèmes et les méthodes employés. Cependant toutes les manifestations musicales ne répondent pas à ce modèle ; la musique de tradition orale, la musique improvisée ainsi qu'une grande partie de la production musicale contemporaine sont dépourvues de partition.

Nous pouvons situer les musiques électroacoustiques parmi les musiques sans partition. Il s’agit dans ce cas d’œuvres réalisées en studio, fixées sur un support matériel (bande magnétique, disque compact, disque dur d’ordinateur) et destinées à être spatialisées par l’intermédiaire d’un système de haut-parleurs. On ne dispose pas de partition préalable destinée à être ensuite interprétée et mise en son. L’œuvre se génère de façon expérimentale dans un contact direct avec le son.  On ne réalise pas non plus de partition une fois la composition terminée ; tout au plus, et pour des raisons pratiques, certains compositeurs réalisent-ils un schéma graphique pour un usage privé en vue de la diffusion en concert.

L’absence de partition pour l’analyse de ces musiques nous oblige à redéfinir les stratégies analytiques à employer.

Par ailleurs, la sémiologie considère le fait musical comme une forme symbolique qui comprend des réalités très différentes qui à leur tour renvoient à des champs distincts de l’expérience et engendrent un réseau complexe d’interprétations (Molino, 1975; Nattiez, 1986). Un phénomène de cette nature peut être décrit en tenant compte d’un triple mode d’existence : comme objet produit (analyse poïétique), comme objet perçu (analyse esthésique) et comme objet arbitrairement isolé (analyse neutre). Dans le premier cas, l’information est obtenue sous l’angle de la production : comment telle œuvre a été  créée par le compositeur ; dans le second, les données s’obtiennent à partir de la réception de l’œuvre : comment elle a été perçue par les auditeurs ; enfin, dans l’analyse neutre, l’analyse décrit et explique les configurations immanentes de l’œuvre. Dans notre cas, nous nous orientons vers la seconde option, l’analyse esthésique ; un choix dont nous considérons qu’il peut nous offrir sur l'œuvre l'information la plus large, la plus mutiple et variée.

De ce fait, le noyau de notre travail se centrera sur la réception de l’œuvre électroacoustique et sur l’analyse à partir de son écoute, en cherchant dans les manifestations des auditeurs, les critères qui nous permettent de nous en approcher.

 

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