Comme nous l’avons énoncé préalablement, les pièces analysées dénotent une exploration du geste et notamment de ses connexions et bifurcations (ou ramifications pour citer une métaphore chère au compositeur). Comme nous avons pu le voir, le mouvement progressif constitue un élément primordial de cette musique. À propos de cette question, il serait donc nécessaire de dresser un constat. La restitution des éléments musicaux niés antérieurement (nous reprenons ici la comparaison avec Atmosphères évoquée au début de notre article) touche divers aspects du langage. Bien que le cluster - l’élément lié par définition à l’idée de proximité - soit toujours utilisé comme base pour la composition de divers œuvres, il perd progressivement son « identité » et il devient, fréquemment, une configuration « hybride » et résiduelle. D’une façon similaire, il n’est pas étrange de voir que les mouvements progressifs des hauteurs deviennent des mouvements progressifs des classes de hauteurs. Cependant, il est nécessaire de rappeler que, malgré le fait que les résultats puissent être similaires d’un point de vue structurel, ils sont bien différents d’un point de vue perceptif. Dans la pièce 7, par exemple, en séparant chaque note du cluster ( – ré  dièse – mi – fa – fa dièse) par une octave, nous perdons la sensation de proximité que nous avions avec la structure compacte du cluster (dans ce cas, la sensation est celle d’une sorte d’ « explosion », comme si une force centrifuge avait opéré à l’intérieur du cluster lui-même).

Au cours des années soixante, les éléments « figuraux » réapparaissent dans la musique de Ligeti toujours sous l’influence de certains principes radicalement établis dans Atmosphères (et déjà anticipés dans Apparitions). L’œuvre analysée dans cet article constitue, avec les œuvres composées dans cette même période, une révision critique de ces principes. Cela dit, il faut préciser que cette œuvre ne naît pas d’une négation radicale de la négation faite avant. Elle naît, plutôt, d’une négation beaucoup plus graduelle, où la nouveauté est méticuleusement dosée. Ce dosage permet au compositeur d’édifier son langage sur d’autres piliers. Notamment, cela lui donne les moyens de travailler autour de l’implicite, de l’allusion, et ainsi d’évoquer divers aspects d’écriture appartenant à d’autres compositeurs, styles ou pratiques compositionnelles.