Les matériaux autographes pour l’étude des Zehn Stücke

Ingrid Pustijanac (assistée de Pierre Michel pour la rédaction française de l'introduction et des commentaires sur les pièces n° 5 et n° 6 )

Cette partie du dossier résulte d'un travail d'étude des documents d'esquisse des Dix pièces pour quintette à vent de György Ligeti tel que nous avons pu l'effectuer sur la base des documents disponibles à la Fondation Paul Sacher de Bâle (merci à Heidy Zimmermann, responsable du Fonds Ligeti !).

Une première partie, rédigée par Ingrid Pustijanac, concerne les pièces 5 et 6 ; la suite consiste en une série de remarques enregistrées par Pierre Michel sur la base des pages d'esquisses.

Ensuite, un document rédigé en hongrois (nous l'avons intitulé « Une page hongroise ») a été analysé par plusieurs personnes de langue hongroise, puis traduit et commenté par Ingrid Pustijanac et Pierre Michel.
Enfin, une autre page rédigée par Ligeti (« Diskussion ») a été traduite dans ses grandes lignes par Pierre Michel.
Tous ces documents permettront au lecteur de mieux pénétrer les divers stades de l'élaboration de cette musique, à la fois du point de vue technique, associatif et poétique.


Ligeti commençait toujours une pièce en notant tout ce qui lui passait par la tête, que ce soit du domaine de la musique, de la peinture, de la littérature. Cela créait une atmosphère dans laquelle il imaginait la musique longtemps avant d’écrire une seule note. C’est ainsi que voient le jour toutes sortes de matériaux et d’annotations préparatoires. Ils revêtent une nature très hétérogène et disparate. Quelques idées sont enregistrées sur des feuillets  de fortune comme des billets de voyage, au dos d’une feuille de papier à musique, jusqu’à des schémas plus structurés. Après cela viennent quelquefois les premiers schémas sur papier (comme il y en a par exemple pour San Francisco Polyphony), et ensuite seulement on voit émerger les premières notes sur papier. C’est un procédé que Ligeti a suivi pendant toute sa vie à  l’Ouest et qu’on peut trouver dans les matériaux autographes pour la composition des Dix pièces pour quintette à vent.  La première phase qui témoigne de la genèse des idées initiales des Dix pièces pour quintette à vent correspond aux lettres écrites par le compositeur à son ami et musicologue suédois Ove Nordwall. Grâce à la correspondance avec Nordwall [1] nous pouvons reconstruire la genèse des Dix pièces qui n’est pas révélée par les annotations, étant donné que les premières sources consistent essentiellement en un brouillon continu et incomplet. La première page de brouillon présente, effectivement, les dernières mesures de la pièce n° 4 et couvre les douze pages suivantes, jusqu’à la fin de l’œuvre. L’étape suivante, comme nous allons le voir, est représentée  par la copie au net (26 pages) écrite au stylo noir et contenant plusieurs corrections de la main de Ligeti qui concernent avant tout la dynamique et les indications agogiques.

Parmi les matériaux autographes relatifs aux Dix pièces, un document occupe une place spéciale, car il représente la logique constructive et associative de la technique compositionnelle de Ligeti. Nous y consacrerons une section spécifique (page hongroise).

La reconstruction du réseau des informations et matériaux sur les Dix pièces inclut  également la présentation écrite par Ligeti pour le programme de salle lors des Cours d’été de Darmstadt en 1970. [2]

Avant d’aborder plus en détails certains moments particulièrement significatifs du processus compositionnel, tel qu’il ressort du matériel autographe,  je me concentrerai sur le fait que pour ces Dix pièces - mais on peut dire la même chose pour les autres œuvres de cette époque comme le Concerto pour violoncelle (1966), le Quatuor à cordes n°2 (1968) et le Concerto de chambre (1969-70), mais également pour Melodien (1971) et San Francisco Polyphony (1973-74), les matériaux appartenant à une première phase conceptuelle ne sont pas conservés (ou n’ont jamais existé), et plus généralement les matériaux préparatoires sont particulièrement rares. L’explication de cette situation curieuse des sources autographes est fournie indirectement par Ligeti dans une lettre à Nordwall, où il affirme qu’à cette période il composait d’une façon « plus spontanée » : 

« Je serais très heureux si tu faisais un dossier avec une sélection des esquisses. Et une étude sur la méthode de travail : ça serait TRÈS intéressant. Car tu as totalement raison : la méthode est la même dans toutes les pièces, qu’elles soient électr., instr., ou vocales. (Actuellement, la même méthode vaut en effet aussi pour la pièce virtuose pour clavecin, à ceci près que depuis le Concerto pour violoncelle ma façon de travailler a changé dans le sens où moins il y a d’esquisses préparatoires, et plus la composition est spontanée. » [3]

Cette nouvelle façon de composer, plus spontanée, Ligeti la développe après la composition de son Requiem, de Lux aeterna et de Lontano, pièces où la technique micropolyphonique avait atteint son apogée. Avec le Quatuor à cordes n°2, le Concerto de chambre et les Dix pièces le compositeur  commence à réaliser ce qu’il définissait depuis plusieurs années dans la correspondance comme de « nouvelles polyphonies ».