Une phrase instrumentale clôt le Lied, ainsi qu'elle l'avait ouvert. La composition commençait avec l'annonce de la fin. Le contenu musical de l'introduction diffère un peu de celle de cette coda finale. Cette dernière n'est faite que de la répétition d'une ample formule cadentielle, qui s'inspire encore de la musique liturgique. Le Lied se conclut avec la solidité compacte et affirmative avec laquelle termine un choral. Et tel un choral, il proclame avec force un acte de foi, un credo religieux. C'est à cette foi que Schubert invite à nous tourner. La longueur de la phrase est irrégulière. Elle est théoriquement constituée par la répétition d'une incise de quatre mesure, mais un enjambement[24] en réduit la durée totale à sept mesures. En employant ce matériel d'une grande évidence sémantique et formelle, le compositeur cherche ainsi à éviter la monotonie d'une construction qui risque d'être trop pédante.
La disposition de l'accord final est très significative. On la retrouve souvent dans la musique de l'époque, il s'agit d'une parmi les découvertes sonores qui distinguent le romantisme. Les notes de l'accord majeur sont disposées selon l'ordre des harmoniques (la fondamentale, une octave au-dessous, n'est pas jouée). Elles se trouvent dans l'état maximum de quiétude, puisque la position des composantes de l'harmonie dans le registre coïncide avec celle des leurs contenus spectraux. Il s'agit d'une disposition qui annule toute friction. De cette sonorité émane une sensation d'accomplissement, de plénitude, d'équilibre parfait. Elle fait ressentir à celui qui écoute un sentiment de paix sereine et tranquille : c'est le repos éternel que la mort promet aux hommes. Aucune autre élaboration a lieu ici pour atteindre cet effet, qui est obtenu uniquement par la façon dans laquelle les sons se présentent, par l'état physique de la matière. C'est le premier niveau de l'articulation musicale : les sons signifient parce que, tout simplement, ils sont.
Bien que cette étude s'efforce de mettre en lumière les procédés
compositionnels et l'esthétique qui concourent à la beauté et à l'impact émotionnel
qui ont rendu célèbre ce Lied, l'œuvre musicale se perçoit avec les sens et
se vit avec la participation de l'esprit tout entier. Le commentaire analytique
ne peut qu'avoir fonction indicative. Il peut accroître la connaissance et la
compréhension de l'objet artistique dans sa complexité, il réussit peut-être
à en alimenter la suggestion, mais la raison ne peut pas atteindre l'essence
de la musique. Mon travail a commencé par l'écoute, par l'émotion qu'il a suscitée
en moi avec force et à son tour il renvoie à l'expérience première : l'écoute.
[24] Mes. 40.