4. Collections figurales versus non-figurales
Piaget parle au contraire de « collections figurales » lorsque leur disposition dans l'espace se fait selon des configurations spatiales qui comportent une signification du point de vue des propriétés (1) ou (2). « En un mot, la collection figurale constituerait une figure en vertu même des liaisons entre ses éléments comme tels, tandis que les collections non-figurales et les classes seraient indépendantes de toute figure, y compris les cas où elles sont symbolisées par des figures et malgré le fait qu'elles peuvent ainsi donner lieu à des isomorphismes avec des structures topologiques. »
Or ce sont précisément ces collections figurales dont l'informatique « à objets » se laisse de plus en plus fréquemment entraîner à promettre la modélisation efficace, poussée par une demande sociale accrue que concernent directement la fouille de données numériques en ligne, la navigation interactive dans des contenus multimédia ou la recherche d'information au travers de sources multiples [1], [2]. En effet, qu'est-ce qu'écouter de la musique en ligne si ce n'est constituer une collection, quelquefois certes fugace et éphémère, mais toujours figurale en ce sens que sa constitution singulière, sous condition fragile de la continuation, dépend étroitement de la figure temporelle de son déploiement dans la durée ?
Reste que, et on l'aura deviné, les collections figurales s'accommodent très mal de leur assimilation à des collections non-figurales ou à des classes (même si selon Piaget, elles ont vocation à devenir classes, de même que les sujets vont se développer psychiquement pour améliorer leur capacité cognitive à classer). C'est que, selon Piaget toujours, les collections figurales sont vécues sous le signe d'une indifférenciation radicale, qui les rend récalcitrantes à la modélisation classique.
Pour s'en convaincre examinons la manière dont le grand psychologue suisse, dans La genèse des structures logiques élémentaires, traduit la situation expérimentale de l'enfant qui constitue une collection figurale (page 51) :
« Si l'enfant est certes capable, dès le niveau sensori-moteur, d'assimilations successives constituant les ressemblances, il peut cependant y avoir, dès ces assimilations, glissement de la ressemblance à la contiguïté, celle-ci fournissant le principe d'une affinité plus large venant de la forme d'ensemble géométrique ou de la convenance empirique. Mais surtout, d'autre part, ces assimilations n'étant que successives, rien ne permet encore au sujet de quantifier ses résultats et de leur attribuer une extension en réunissant en un tout simultané « tous » les éléments auxquels elles s'appliquent. Le problème est donc de constituer un substrat quelconque pouvant servir d'extension à cette compréhension fournie par les assimilations successives : cherchant à construire la collection correspondant à ses assimilations successives, mais ne possédant pas encore tous les instruments opératoires qui permettent de traduire celles-ci en des « tous » et des « quelques » assurant le réglage des extensions correspondantes, le sujet procède tantôt de la compréhension à l'extension, tantôt de l'extension à la compréhension, et non pas selon un principe de correspondance univoque et réciproque, mais par simple indifférenciation, et par une indifférenciation qui prolonge, mais en la renforçant considérablement, celle de la ressemblance et de la contiguïté déjà à l'oeuvre sur le plan des assimilations de départ.
En effet, tantôt l'enfant met « les mêmes » avec les mêmes, et ici la compréhension détermine l'extension comme ce sera le cas sur le terrain des classifications logiques ultérieures ; mais tantôt il ajoute un élément pour compléter la collection ébauchée dans le sens de sa forme d'ensemble, c'est-à-dire de son extension naissante, et en ce cas c'est bien l'extension qui détermine la compréhension. Cette détermination peut alors se présenter sous deux variétés distinctes, mais équivalentes : ou bien il s'agit de la forme géométrique de la collection, et un élément viendra en compléter d'autres en vue de cette forme d'ensemble sans pour autant qu'il y ait ressemblance proprement dite entre les éléments : ou bien il s'agit d'objets quelconques et un élément sera choisi pour compléter les autres en vue de constituer une totalité cohérente, de telle sorte que, cette fois, la ressemblance est oubliée au profit d'une convenance empirique tirée de l'expérience antérieure vécue par le sujet. Dans les deux cas, seule la forme d'ensemble de la collection lui fournit ses conditions et en ce sens c'est bien cette extension plastique et autonome qui détermine les compréhensions. »
[1] Pédauque, R. (2006). http://rtp-doc.enssib.fr/rubrique.php3?id_rubrique=13
[2] Rousseaux, F. (2005). La collection, un lieu privilégié pour penser ensemble singularité et synthèse. Revue Espaces Temps, http://www.espacestemps.net/document1836.html