2. Les collections numériques, entre ordre et désordre

L'informatique « à objets » a été inventée pour simuler nos activités de rangement d'objets dans des structures de classes identifiées et étiquetées [1] [2] [3]. Son succès fut, comme l'on sait, immédiat.

Une tendance innovante se fait jour depuis peu, caractérisée par la mobilisation de l'informatique « à objets » pour ranger nos collections, considérées comme des amas d'objets en attente de rangement dans des classes ad hoc, qu'il s'agirait cette fois de construire en parallèle [4]. Comme le remarque François Pachet [5], « les problèmes nourriciers de l'informatique évoluent avec la société qui les a créés », et l'industrie de l'entertainment, désormais complètement numérique nous stimule par ses problématiques de classification, de recherche, voire de création.

Les collections semblent en fait plus proches de l'ordre classificatoire que du désordre (qu'il se donne comme tas, amas, cohorte, vrac ou autres fatras) : à tout le moins, une collection paraît-elle toujours viser un ordre, même s'il reste provisoirement incomplet et inachevé. Le cabinet de curiosité des savants n'est-il pas exemplaire de la destination des collections, qui est de tomber à terme sous une classification, sous le coup d'une procédure de catégorisation et, finalement, de tri ? Quant aux collections de timbres (pour prendre un autre exemple), n'attendent-elles pas leur complétude catégorielle par l'achèvement des séries commencées ?

En un certain sens donc, il était inévitable qu'on finisse par rapprocher les collections des classes, car à bien des égards elles en paraissent de pâles imitations. Pourtant, quelque chose résiste à ce rapprochement, et quelque part les collections demeurent sournoisement rebelles à l'idée même de classification. C'est ainsi qu'elles peuvent se trouver repoussées jusqu'à côtoyer les singularités, partageant avec elles l'étrange sortilège d'échapper définitivement à toute tentative de rangement (cf. [6], les exemples du voyage, de l'opéra, du donjuanisme et du troupeau évangélique).


[1] Baudrillard, J., (1968). Le système des objets. Paris : Tel, Gallimard.

[2] Granger, G-G., (1994). Formes, opérations, objets. Paris : Vrin.

[3] Perrot, J-F. (1998). Objets, classes et héritage : définitions. In Langages et modèles à objets : état des recherches et perspectives, collection Didactique, INRIA.

[4] Pachet, F. (2004). Les nouveaux enjeux de la réification. L'Objet, 10(4).

[5] Rousseaux, F. (2005). La collection, un lieu privilégié pour penser ensemble singularité et synthèse. Revue Espaces Temps, http://www.espacestemps.net/document1836.html

[6] Rousseaux, F. (2006). Singularités à l’œuvre. Sampzon : Delatour, Collection Eidétique.

 

 

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