Introduction

Nicolas Donin et Samuel Goldszmidt

Cette partie du dossier de Musimédiane sur les UST porte sur la façon dont ces dernières sont concrètement travaillées par les musiciens-chercheurs du MIM. Même si elles visent une validité universelle, les UST ne sont pas des entités définitives et rigides : fruit d’un questionnement musical toujours en mouvement, leur définition est régulièrement affinée et mise à l’épreuve au contact d’œuvres particulières que les membres du MIM, lors de séances d’écoute collectives, « analysent en UST ». Le but des documents ici présentés est précisément de contribuer à une meilleure compréhension du fonctionnement de cette atypique « communauté d’écouteurs » (comme l’on parle de communauté de lecteurs). Les lignes ci-dessous fournissent, à titre d’introduction aux trois publications, quelques éléments de contexte sur la collaboration entre le MIM et l’équipe Analyse des pratiques musicales, dont ces travaux sont issus.

L’existence des séances collectives d’écoute acousmatique et d’analyse en UST est certainement aussi exceptionnelle dans le paysage de l’analyse musicale que dans celui de la création artistique (qui reste l'horizon privilégié de la majorité des membres du MIM). Difficile d'y être indifférent lorsque l'on se donne pour programme l'analyse des pratiques, individuelles et collectives, caractéristiques de la musique dite contemporaine. Quelques rencontres prometteuses avec Marcel Frémiot, Marcel Formosa ou encore Robert Coinel, vers 2003, nous avaient donné l’espoir d’une collaboration dans le cadre du projet Ecoutes signées alors en gestation à l’Ircam : alors que le modèle premier de ce projet était celui de l’individu développant, grâce à des techniques et des technologies particulières, une pratique d’écoute absolument singulière, nous ne pouvions qu’être fascinés par l'activité d’un groupe de musiciens capable, comme nous en faisions l’hypothèse pour nos auditeurs individuels, de partager de façon critique un vocabulaire et une méthode d’écoute. Il s’agissait alors d’inventer des manières d’instrumenter et de représenter de telles pratiques. Mais la collaboration envisagée ne put se concrétiser que quelques années plus tard. Entre temps, notre objet de recherche s’était déplacé des conduites d’écoute en général à celles associées à la musique savante occidentale, et plus particulièrement aux imbrications complexes entre techniques d’analyse musicale et pratiques d’écoute (voir la présentation de ces recherches). Une occasion fut fournie en 2007 par le développement informatique d’une fonctionnalité audio au sein d’un environnement documentaire multimédia, le logiciel libre Scenari : la réalisation (dans l’équipe Analyse des pratiques musicales) d’un outil de segmentation en UST, fait pour coller aux besoins exprimés par les participants aux séances d’écoute, allait permettre en même temps d’observer de plus près les logiques par lesquelles ces derniers déterminent, si minutieusement, quelle succession d’UST décrit au mieux tel ou tel enregistrement d’œuvre. Une présentation générale de ce projet est disponible ici et le module de segmentation audio « jUST » est téléchargeable là ; inutile, donc, de nous appesantir davantage sur les aspects technologiques dans la présente introduction.

Plusieurs points d'entrée dans la pratique des membres du MIM

Une première visite à Marseille, en décembre 2006 (c’était alors Lumina d’Ivo Malec qui était sur le grill), permit de repérer quelques traits caractéristiques de la pratique analytique collective du MIM : une écoute par filage progressif du fichier son, très locale (élément après élément), et ne portant pas nécessairement sur la totalité du fichier son au sein d’une seule séance. Un point essentiel apparut bien vite : une telle écoute n’est pas purement applicative. Tout au long de la séance à laquelle nous assistâmes, au fil de la (re)découverte des particularités de l’objet sonore étudié, surgissaient toutes sortes de questions assez générales : qualifier l’UST en contexte ou hors contexte ? s’autoriser ou non l’hybridation entre deux UST ? tolérer ou non des tuilages entre UST ? abstraire l’œuvre de son interprétation, ou donner toute sa place à la part de singularité apportée par l’enregistrement discographique ? laisser des « blancs » dans le fichier son ou pas ? Chaque participant à la séance a sa manière d’apporter, de reformuler ou d’écarter de telles questions. La décision sur une opération de nomination/segmentation est parfois âprement disputée, au point de nécessiter une forme d’arbitrage, ou de repousser le choix à une séance ultérieure. Le fonctionnement du groupe, collégial, ne va jamais jusqu’au vote mais peut mettre en évidence les rapports de force entre une majorité et une minorité sur les points les plus âprement discutés.

Un document de travail d’une séance d’écoute : révision (annotations manuscrites), lors de la 2e séance, des timecodes de segmentation établis lors de la 1e séance

Nous avions demandé aux participants à cette auscultation de Lumina s’ils accepteraient de conserver des traces de leur processus d’analyse – et non simplement de la segmentation finale adoptée au terme dudit processus. Souvent, on comprend d’autant mieux un jugement analytique (qu’il s’agisse d’analyse musicale, de philosophie morale ou d’une décision de justice !) qu’on en connaît quelques états antérieurs, quelques bifurcations, quelques hésitations, fournissant d’utiles indices des critères de pertinence engagés dans la décision finale. Marcel Formosa a constitué une archive semblable à propos de l’analyse de Lumina, initialement sur papier, que nous reproduisons ici sous forme multimédia :

Ivo Malec, Lumina : segmentations en UST (Marcel Formosa, Marcel Frémiot, Jacques Mandelbrojt, Jean-Pierre Moreau)

Cette démarche a été ensuite approfondie par un double travail, technologique et ethnographique, mené par des membres de notre équipe. D’une part, l’interaction entre le développeur Paul Rouget et les membres du MIM a permis de décliner le module audio de Scenari sous forme d’une application autonome (v. plus haut) adaptée à l’usage, certainement pas aussi particulier qu’il n’y paraît de prime abord, de l’analyse en UST. D’autre part, l’interaction entre la sociologue Maÿlis Dupont et les membres du MIM a permis la réalisation d’une enquête de terrain sur la pratique de ces derniers au moment précis d’une possible évolution de cette pratique : tandis que l’utilisation d’un prototype de notre application par les membres du MIM générait une archive numérique de leur travail sur une œuvre de Donatoni, Etwas ruhiger im Ausdruck, l’observation du processus analytique par la sociologue documentait tant la dynamique d’une pratique d’écoute que celle d’une appropriation technique. Depuis lors, au terme de leur travail sur la pièce de Donatoni, les membres du MIM ont proposé une segmentation stabilisée, débouchant sur des remarques analytiques. Ainsi pourra-t-on lire ici côte à côte une analyse en UST et une analyse de cette analyse :

Franco Donatoni, Etwas ruhiger im Audruck : analyse en UST (Marcel Frémiot, Marcel Formosa, Jean-Pierre Moreau)

Le lien entre dispositif et format de l’écoute (Maÿlis Dupont)

A travers cette collaboration à deux faces, nous ne faisions sans doute que retrouver, sous une forme inédite, la pluridisciplinarité qui a toujours animé la recherche sur les UST – que l’on pense, du côté des sciences humaines, à l’implication remarquable de François Delalande et d’Emmanuel Pedler (dont une étude en sociologie de la réception problématisa, dès le début des années 1990, l’écoute en UST – v. par ex. « De l’analyse à l’écoute : la perception des unités sémiotiques temporelles », Les Unités sémiotiques temporelles. Eléments nouveaux d’analyse musicale, Marseille, M.I.M., 1996, p. 61-78). 

À l’occasion de la préparation du présent dossier, Samuel Goldszmidt a développé un player permettant d’interagir avec des fichiers audio, suivant une segmentation déterminée (ici en UST), au sein d’un navigateur intégrant la balise « audio ». La lecture des trois articles de cette section ne sollicitera donc aucun player externe de type Flash ; en revanche, ils ne pourront être lus correctement qu’au moyen de Firefox 3.5. Si vous n’avez pas ce navigateur, veuillez le télécharger gratuitement au moyen du lien ci-dessous. En dernier recours, des versions alternatives simplifiées des différents documents sont consultables depuis n'importe quel navigateur, sur une autre page

Quelques indications pratiques pour la consultation des articles

Voici une copie d'écran extraite de l'un des articles de ce dossier :

Depuis le texte, cliquez sur les icônes ou pour lancer la lecture d'un passage audio.

Attention : il peut arriver que, une fois la page chargée, la segmentation n'apparaisse pas. Dans ce cas, seul le lecteur son est visible, comme dans l'image ci-dessous. Déplacez alors le curseur de lecture vers la fin du fichier son, et appuyez sur le bouton play . Cette action forcera le téléchargement du fichier son et l'affichage des segmentations.