2. Analyse de Styx : section D

Figure 1. Mâche, Styx (D), forme.

Vidéo. Mâche, Styx (D), forme.

La section D dure entre 2' 30'' et 3', environ, et se structure autour de trois processus (gestes) similaires. Comme on peut le voir dans la Figure 1 et la vidéo [1], il s'agit d'une espèce de « figure de crescendo » qui se répète trois fois et qui concerne les hauteurs, l'intensité, le rythme, le tempo et la densité. Ces « figures de crescendo » peuvent être comprises aussi comme des gradations [2] ou comme dilatations de l’espace [3]. Chacune de ces gradations se termine par un la joué dans l'extrême grave du piano. Voyez cela et les entrées des pianistes dans les Figures 2 et 3.


Figure 2. Mâche, Styx (D), entrées (début de la pièce).


Figure 3. Mâche, Styx (D): entrées et le la grave fortissimo.

Dans cette section, le compositeur travaille avec une superposition de pulsations inégales, comme si des métronomes à des vitesses différentes étaient actionnés en même temps. Sur la partition, François-Bernard Mâche fait le commentaire suivant : « chacun, dans son tempo, joue un nombre variable de croches par accord. C'est ce nombre qui figure à chaque accord. Par contre, la croche reste constante et régulière, en relation avec son  tempo de référence » (MÂCHE, 1984, p. 4).

Figure 4. Mâche, Styx (D): superposition de tempi.

Chaque pianiste joue son propre tempo qui est différent des autres tempi (joués avant, en même temps ou après). Comme il est possible de le voir dans la Figure 4, l'apparition des tempi de plus en plus rapides (exception faite pour le premier temps du pianiste I, noire = 92, qui est un peu plus lent que le temps précédent) provoque une accélération graduelle. À noter que les deux derniers tempi (noire = 168, noire = 184) sont exactement le double du premier et du troisième tempi (noire = 84, noire = 92).

Figure 5. Mâche, Styx (D), début (pianiste 2), permutation de hauteurs.

Quant aux hauteurs, le jeu proposé continue celui de la section B. Il s'agit d'une permutation de hauteurs. Voyons, par exemple, ce qui se passe au début de la section. Dans la Figure 5, nous montrons les premiers dix accords du pianiste II et les permutations des hauteurs (avec des flèches). Comme il est possible de le voir, il y a six classes de hauteurs, qui apparaissent graduellement et qui sont réutilisées avec des changements dans le registre. Dans le reste de la section, d'autres classes de hauteurs apparaissent, toutefois, la façon de travailler continue la même.

Voyons un peu plus en détail ce qui se passe dans chaque processus. (Nous utilisons les expressions « processus 1 », « processus 2 » et « processus 3 », pour nous référer aux trois processus présents dans la section. Ces processus sont assez évidents dans la vidéo.)

Le processus 1 est réalisé par les pianistes 2 (noire = 84) et 3 (noire = 100). Il s'agit du même matériau musical joué en deux vélocités différentes (voyez la Figure 2). Plus spécifiquement, le pianiste 3 prend ce que le pianiste 2 fait et le joue un peu plus rapidement. Afin que les deux musiciens arrivent ensemble au même point - le la grave fortissimo - (voyez la Figure 3), le pianiste 3 commence après 31 croches du pianiste 2 (11 secondes environ). En ce qui concerne le mouvement des voix dans le registre, on peut décrire le procédé de la façon suivante. Chaque pianiste part du registre central du piano et va, avec la main droite, graduellement vers l'aigu, et avec la main gauche, graduellement vers le grave.

Avant que le processus 1 ne soit fini, un autre processus commence avec l'entrée du pianiste 1 (noire = 92). Cela continue avec l'entrée des pianistes 4 (noire = 108), 3 (noire = 116) et 2 (noire = 126). Dans ce processus, les pianistes ne s'arrêtent pas en même temps, mais l'un après l’autre (voyez les entrées dans la Figure 3).

Le dernier processus commence avec l'entrée du pianiste 3 (noire = 138) et continue avec les pianistes 4 (noire = 152), 1 (noire = 168) et 2 (noire = 184). Concernant le mouvement des voix dans le registre, on trouve le même procédé que dans le processus précédent ; les pianistes 1 et 3 vont du registre central vers l'aigu et les pianistes 2 et 4 du centre vers le grave. À la fin de la section, les pianistes 1 et 3 répètent seuls l'accord final et s'arrêtent au moment où les pianistes 2 et 4 attaquent le la grave fortissimo.

Comme on peut le constater dans la Figure 6, l'intensité augmente aussi graduellement.

Figure 6. Mâche, Styx (D), intensités.

Le compositeur essaye de rendre imperceptibles les entrées des pianistes. Pour atteindre ce but, chaque nouvelle entrée commence, soit dans le même registre utilisé par un autre pianiste à ce moment-là, soit avec une intensité plus faible que le reste (ou les deux procédés en même temps). D'autre part, sauf le premier processus, les autres commencent toujours avant que le précédent ne soit terminé. C'est-à-dire que toute la section se structure autour d'un processus de masquage : le début du processus 2 est masqué par la fin du processus 1 et le début du processus 3 est masqué par la fin du processus 2.