L’analyse musicale est un outil dont on trouve des traces en Europe occidentale dès l’époque carolingienne dans l’entreprise de classification des modes pour l’établissement des tonaires (les livres dans lesquels les antiennes de l’office et de la messe étaient classées suivant l’ordre des huit tons du plain-chant, Honegger, 1976, p. 1019). Mais l’émergence de l’analyse comme technique à part entière est intimement liée à l’émergence de la composition musicale envisagée dans une perspective formelle au début des temps modernes (Bent et Drabkin, 1987/1998). Utilisée pour illustrer une technique d’écriture ou pour étayer une réflexion esthétique, elle acquiert ainsi progressivement son autonomie à partir du milieu du 18e siècle, avec la mise en avant de la musique instrumentale comme modèle de la musique « pure ». Dans ce sillage, elle prend une valeur centrale dans la seconde moitié du 19e siècle avec le formalisme, dont elle « est fille (ou sœur) » (Accaoui, 2011, p. 19). L’analyse musicale est donc un produit historique résultant de l’évolution des modes d’expression musicale permise par la mise au point d’un système d’écriture appliqué à un certain type de productions et d’un vocabulaire permettant de rendre compte de certains aspects de ces productions, tous processus qui ont accompagné la reconnaissance de la musique comme art (au sens moderne du mot).
Dans son acception moderne, l’expression « analyse musicale » désigne le travail de dé-composition/re-composition d’une œuvre selon des règles préétablies, à partir de la trace écrite et/ou sonore. L’analyse procède donc d’un double mouvement où la résolution d’un tout en des éléments est suivie d’une synthèse qui met en lumière une organisation qui n’était pas immédiatement visible dans l’objet initial. Le produit d’une analyse est donc toujours un construit : les dimensions de l’opération de résolution et les règles de cette opération sont déterminées par une théorie, et la proposition synthétique à laquelle aboutit l’analyse ne fait jamais que dire ce qu’est l’œuvre au regard de ces dimensions et de ces procédures. La décomposition d’une œuvre en segments, les caractéristiques ou les paramètres à partir desquels la segmentation est réalisée, la définition des différentes sortes de segments par exemple sont des construits.
Toute analyse repose sur la croyance en l’immanence de l’œuvre, qui vient justifier au minimum les catégories de la résolution et par conséquent aussi les théories dont elles procèdent. L’analyse, c’est « la partie de l’étude de la musique qui prend comme point de départ la musique en soi plutôt que des facteurs qui lui seraient externes » (Bent et Drabkin, 1987/1998, p. 9). Sauf que l’interne et l’externe sont bien difficiles à concevoir indépendamment. Ainsi, (1) Le passage au milieu du 18e siècle d’une conception linéaire (moment par moment) narrative à une conception hiérarchique (structure en « arbre ») organiciste de la musique, (2) la recherche d’un principe unitaire fondateur (« générateur ») permettant d’expliquer les logiques d’écriture, (3) la rationalisation progressive du discours (sur l’art, la musique, son enseignement), (4) la systématisation de plus en plus poussée au 20e siècle des théories musicales, avec appui sur la linguistique (sémiologie, théories génératives) ou sur des théories mathématiques, notamment la théorie des ensembles (Set Theory), toutes ces orientations sont intimement liées aux évolutions de la pensée sociale et des productions et des choix (et des discours) esthétiques ou artistiques, imprégnées des dynamiques sociologiques et/ou sociopolitiques, et participent de tous ces aspects. Si bien que les catégories mêmes du créateur de l'œuvre analysée et plus généralement de l’espace-temps social dans lequel il s’inscrit peuvent à juste titre être considérées comme nécessaire au travail d’analyse. C’est dans la prise en compte de cette intrication considérée par certains comme essentielle que s’enracine l’approche « herméneutique » dont le projet est de comprendre l’œuvre « en ses moindres détails, en retrouvant la mentalité même de l’auteur qui l’a écrite » (Chailley, 1947). Pour rester fidèle à son projet d’autonomie, l’analyse doit alors se distinguer de l’esthétique, de l’histoire événementielle, de la critique, des théories compositionnelles. Ainsi, l’analyse viserait la connaissance des mécanismes même du « langage » musical (considéré comme un système abstrait) alors que l’esthétique resterait ancré dans la réalité du monde phénoménal, impliquant des systèmes de valeur (Bent et Drabkin, 1987/1998, p. 11). De même, l’analyse ne serait pas étrangère à la perspective historique, mais, là aussi, dans la visée d’une compréhension du langage musical en lui-même, dans sa réalité virtuelle plutôt que dans son incarnation dans un ici-et-maintenant singulier (ibid., p. 13). De même encore, l’analyse serait descriptive, critique, partielle, ciblé, explicite dans ses procédures alors que la critique serait interprétative, allusive, globale, implicite (Dalmonte, 2002/2004). De même enfin, le projet analytique déborderait très largement l’utilisation qui pourrait être faite de la technique analytique par un compositeur ou un théoricien de la composition pour intéresser le plus largement les sciences de la musique.