Maintenant, ce que je pense de ce pronostic de Meyer est la chose suivante. Cette appréciation ne me paraît pas s'appliquer à Reich. « Redondance » d'abord est le critère retenu en référence aux théories de l'information. Une musique redondante l'est d'autant plus que l'information qu'elle transmet est faible. Meyer distingue trois sens.
- « A redundancy style » cultivée en particulier par les minimalistes animés du souci « égalitarien » pour un public de masse, fait que la musique n'est pas perçue comme un « jumble of sounds ». Cela implique d'avoir une syntaxe, des contraintes qui maintiennent l'attention en alerte. Une pulsation régulière, une métrique suggérée par le texte comme chez Reich, y pourvoit. C'est donc, au contraire, selon moi, un trait par lequel la musique très contrôlée de Reich échappe au déclin de l'attention et durant l'écoute de laquelle l'on n'est pas tenté de s'affairer à une autre occupation tandis que la musique continue. Dans son postlude de 1994, le caractère intermittent de l'écoute, le fait qu'on puisse faire quelque chose tandis que la musique continue de jouer, est ce qui fait la différence entre la musique savante et la populaire. Cela ne me paraît pas s'appliquer à Reich.
- Chez Reich, cette redondance est également compositionnelle alors même qu'elle prend le contrepied de la musique néo-sérielle d'avant-garde, ainsi quand il écrit d'une oreille le processus de la récurrence pour produire à l'autre une récurrence de processus, il tend à maximiser une redondance perceptuelle par des patterns faciles à se remémorer qui tendent vers l'unisson. Plus grande est la production de patterns, plus forte la redondance, plus captatrice est sa musique. On l'écoute jusqu'au bout sans lâcher l'attention. C'est la force du processus à double pôle.
- La troisième sorte de redondance que distingue Meyer, celle dite « repertory », de répertoire , n'est pas sans concerner Reich également, étant donné l'importance donnée à l'enregistrement des réitérations notamment des petits motifs et le recours à des techniques, magnétophones, synthétiseurs, etc…
Curieusement, au vu de l'utilisation du langage parlé, the speech-melody, on s'attendrait à ce que Reich au contraire relâche l'effet de redondance. Là est son originalité. Comme je l'ai déjà signalé, c'est l'inverse qui se passe. Car, quand il le renforce par le procédé de la syllabisation, de la réitération de phonèmes en nombre limité, par la dimension rituelle qu'il donne à leur profération - quand elle n'est pas déjà rituelle d'origine, comme dans Tehillim (1981) par exemple, - alors l'on entend à quel point impossible à éviter, l'écoute est sollicitée sans répit ni autorisation à se laisser distraire. Cette absence totale de place pour la distraction est due au traitement musical de la parole au moyen de ces contraintes-mêmes, et c'est ce qui, à moi, paraît le plus intéressant. Ainsi réussir à forcer l'écoute continue, n'en déplaise à Meyer, qui est le parti-pris du décisionnisme reichien, déroge à la distinction sacrosainte entre musique savante et populaire qu'on aimerait faire pour ensuite montrer que Reich y désobéit.