« Interstellar Overdrive » de Pink Floyd et le processus de création à travers le prisme de l'improvisation collective : du chaos à l'ordre ?

Philippe Gonin [1]

Pourquoi « Interstellar Overdrive » ?

Le but de cette présentation est de souligner, à travers une seule et même composition, comment le Floyd est parti d'un concept d'improvisation libre reposant sur une structure formelle flottante mais stable à une improvisation libre cadrée dans une structuration formelle clairement établie.

De 1966 à 1970, le groupe jouait « Interstellar Overdrive » [2] comme une sorte de fil conducteur. Bien qu'absent du live Ummagumma, la pièce est généralement considérée comme le seul exemple de ce que le groupe était capable de faire sur scène dans ses premières années (période dite « Barrett »). Une « compétence » scénique que ne souligne que partiellement le premier album studio du groupe, The Piper At The Gates Of Dawn et encore moins les singles « Arnold Layne » et « See Emily Play » qui, dans leur forme enregistrée, sont de pures « pop songs. »

« Interstellar », du premier avatar connu à la dernière prestation live enregistrée, apparaît comme l'exemple type de la mutation opérée par le groupe du psychédélisme au « space rock » (ou « rock planant ».)

Partant de ce constat, mon propos est donc de démontrer que le Floyd, alors à l'écoute d'une certaine avant garde, se dirige de plus en plus, en un laps de temps relativement bref, vers une musique, quand bien même elle reste en grande partie improvisée, clairement structurée.

Méthode

Pour mettre en œuvre cette démonstration, j’ai fait appel à un certain nombre d’outils informatiques qui, à des degrés divers, m’ont permis d’établir et de mettre en avant des caractéristiques à la fois formelles, temporelles et infra structurelles (la forme dans la forme) venant non seulement illustrer mais également confirmer mon propos.

Ces outils sont en premier lieu Sonic Visualiser (Cannam, Landone et Sandler, 2010) et les différents plug-ins réalisés par la Queen Mary University [3]. Ils m’ont été utiles pour les questions de tempi, formes d’ondes.

En second lieu, j’ai fait appel à Matlab et plus particulièrement au MIR Toolbox (Lartillot, Toiviainen, 2007) essentiellement pour calculer les courbes de nouveautés de chacune des versions retenues.

Quelques analyses ont été réalisées avec Audacity, logiciel libre développé par Domique Mazzoni (Université Carnegie), surtout utile pour les questions de sonagramme ou pour confirmer/infirmer certains résultats obtenus avec Sonic Visualiser.

Il convient cependant d’énoncer ici quelques précautions d’usage : il faut prendre garde de se livrer à une lecture trop hâtive des données calculées. Ainsi, certains plug-ins se sont révélés être pour l’heure totalement inefficaces. Les fonctions « segmenter » [4] et « segmentino » [5] fort utiles lorsqu’il s’agit d’analyser des chansons ayant une forme couplet/refrain/pont, n’ont pas toujours donné de résultats suffisamment probants permettant de déterminer les différents segments qui composent chacun des fichiers analysés.

Les courbes de nouveautés, qui toutes ont été calculées avec les mêmes paramètres [6] donnent des résultats assez fiables mais qu’il peut être aisé de mésinterpréter. L’absence de pics significatifs (dont le « coefficient value » dépasse dans certaines courbes à peine 0,5 ou 0,6 – 1 étant la valeur la plus élevée) ne veut en effet pas obligatoirement dire qu’il ne se passe rien de nouveau. Nous verrons ce cas lors de l’analyse de la version de 1966. Malgré tout, une fois cette précaution d’usage soulignée, nous constaterons que le résultat obtenu conforte de fait mon analyse visant à démontrer que la structuration formelle de l’improvisation collective est de plus en plus prégnante au fil des mois séparant l’enregistrement d’octobre 1966 du dernier analysé ici (automne 1970).