Le concept de matériau entre musiques savantes et musiques actuelles
Le cas de « ReComposed »
Andrea Giomi
Université Grenoble Alpes
En 2008, le célèbre label allemand « Deutsche Grammophon » commandait à Carl Craig [1] et Moritz Von Oswald [2] – deux géants de la musique techno – la ré-élaboration des enregistrements des œuvres de Maurice Ravel (« Bolero » et « Rapsodie espagnole ») et de Modest Musorgskij (« Tableaux d'une exposition »), jouées en 1987 par le Berlin Philarmoniker sous la direction de Herbert von Karajan. Déjà à partir de 2005, « Deutsche Grammophon » avait commencé à demander à plusieurs musiciens électroniques et djs de « recomposer » des classiques romantiques selon le vocabulaire des musiques électroniques actuelles [3]. Contrairement aux premiers travaux de la série « ReComposed » [4], caractérisés par la simple juxtaposition entre « sampling » des œuvres classiques et « beat » électroniques, le travail de Craig et Von Oswald cherche à s'interroger sur la question du matériau, à travers l'utilisation savante de la répétition musicale.
Carl Craig est un musicien de Detroit. Il est considéré comme l'une des figures les plus importantes de ce qu'on appelle « the second wave of techno music ». Pour sa part, Moritz Von Oswald est un des précurseurs de la minimal techno allemande et un des vrais innovateursde la musique électronique dans les années 1990. À partir de cette période, tous deux ont essayé « contaminer » la musique électronique dancefloor avec les genres musicaux les plus différentes : Moritz Von Oswald avec le dub jamaïcain et la musique électronique savante, Carl Craig avec le jazz et la musique classique européenne.
Ce n'est donc pas un hasard si le « ReComposed Vol. 3 » [5] de Craig et Von Oswald est un travail profondément emblématique dans la compréhension des processus de réinterpretation de la tradition savante à l'œuvre dans les musiques électroniques actuelles.