Alain Bonardi, Francis Rousseaux, Diemo Schwarz et Benjamin Roadley
La collection numérique comme modèle pour la synthèse sonore, la composition et l’exploration multimédia interactives

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Les collections d’objets numériques sont placées au croisement interdisciplinaire des sciences cognitives d’une part et de l’informatique d’autre part, dans le domaine de la classification et de la recherche d’informations.

D’un côté, les psychologues spécialistes de l’enfance comme Piaget ont montré que les collections fonctionnent sous un double mode, figural – c’est-à-dire s’inscrivant dans un espace, et à l’inverse non-figural.

De l’autre, les informaticiens cherchent d’autres organisations des informations que les habituelles grilles de classification établies sur des critères posés a priori : il s’agit d’introduire pleinement l’utilisateur et ses désirs dans les systèmes automatisés, tout en essayant bien sûr de lui éviter les coûts exorbitants qui menacent aussitôt de s’ensuivre. Pour cela, les interfaces seront encore à améliorer, et nous n’en sommes qu’au début d’un façonnage d’outils numériques. Après tout, les usages sauront bien nous inspirer collectivement, comme cela fut bien souvent le cas par le passé : nous devons à Philippe Aigrain la mention de la référence historique aux Locus Communis, ces livres collections d’extraits de textes annotés, copiés ou découpés selon des critères personnels avant même l’imprimerie parfois, qui répondaient déjà à la nécessité de gouverner une surabondance d’information. Collection croisée en vérité, puisque la collection d’annotations doublait la collection d’extraits.

Si la constitution et le parcours dans les collections (numériques ou pas), sont des questions qui rejoignent celle, plus vaste, de la synthèse, il est intéressant de remarquer comment les collections de fichiers sonores digitalisés sont devenues un cadre artistique pour l’exploration de formes ouvertes et pour la synthèse sonore en particulier.

Dans cet article, nous rendons compte de caractéristiques communes à toutes les collections, avant de montrer leur spécificité dans le monde du son numérique, grâce à des démonstrations d’applications comme ReCollection et Catart.

Giuliano D’Angiolini
Réponse à Marc Chemillier

D’abord une précision méthodologique. Pour avoir étudié la musique de l’île de Karpathos pendant de longues années, je sais ce que la fréquentation du terrain (voir une profonde implication personnelle en son sein) apporte de finesse dans la connaissance. Ainsi, dans ma publication sur le « Jesu » de Castelsardo, je préviens d’emblée le lecteur qu’il faudra considérer celle-ci davantage comme un essai musicologique qu’ethnomusicologique. Il s’agissait de travailler sur un phénomène acoustique en tant qu’objet physique, in vitro. Une bonne moitié du livre est dédiée d’ailleurs à l’analyse de la grammaire musicale, de sa dimension historique, de la conduite de parties vocales, du contrepoint, de la forme : tout cela sur la base d’une transcription du chant que j’ai mis au point au préalable. La transcription peut faire l’objet d’une étude menée avec les moyens de l’analyse compositionnelle, à l’instar d’une partition de musique savante. Mon étude ne prétendait pas affronter tous les aspects de cette tradition, mais seulement ce qui pouvait être déduit à partir des ces donnés – pour ainsi dire – « de laboratoire » : la transcription musicale et le sonogramme. D’ailleurs aucune approche ne peut prétendre à l’exhaustivité : toute analyse circonscrit son propre champ d’application.

Marc Chemillier souligne – à juste titre – l’importance de l’étude des modes productifs, des techniques vocales, du « faire ». Le monde est plein de traditions vocales étonnantes dont l’aspect physiologique n’a pas été étudié (avec l’exception notable du chant diphonique et du kharaghirà des Mongols). Concernant le chant de Castelsardo, j’ai moi-même indiqué quelques possibles pistes à suivre : il faudra considérer que, dans ces types d’émission, les chanteurs exercent une forte pression sur la glotte, ce qui explique le remarquable enrichissement du spectre dans la partie moyenne-aigüe. Ceci est d’ailleurs un point en commun que la vocalité sarde entretien avec celle de l’aire mongole. Des processus de nasalisation, perceptibles à l’écoute, peuvent expliquer la formation de zones d’anti-résonance. Et puis, bien sûr, (comme le fait remarquer Bernard Lortat-Jacob) les chanteurs procèdent à des ajustements vocaliques destinés à exalter certains formants ou, au contraire, à les amoindrir. Il est clair, par exemple, que la position et les caractéristiques des formants de la bogi (résonances qui forment l’ébauche de l’enveloppe spectrale de la quintina) sont liées au rendu de la voyelle. De plus, un tel ajustement est indispensable pour adapter leur position de manière à reproduire le phénomène sur différentes hauteurs.

Une étude sur la physiologie du chant ne pourra se passer de la fréquentation du terrain et des échanges entre le chercheur et les chanteurs. C’est un aspect qui ne faisait pas partie des objectifs de ma recherche. Du reste, il ne faudra pas confondre les divers moments de l’investigation : la compréhension du phénomène acoustique et psychoacoustique est autre chose que la modélisation de techniques employées pour l’obtenir.

Il me faut préciser aussi que, dans mon étude, j’ai bien pris en compte toutes les publications et interventions de Bernard Lortat-Jacob sur la question de la quintina. Il me semble que sa théorie est généralement connue (et reprise par d’autres auteurs) telle que je l’ai décrite, à savoir que ce phénomène s’expliquerait par un effet de « fusion » de spectres de différentes voix entre-elles. Si cette notion a changé de sens pour son auteur, cela n’apparaît pas précisément formulé dans ses interventions successives à ses écrits plus anciens, bien au contraire. Dans l’interview parue dans Musimediane N°3 (La clef d’écoute, Polyphonies vocales de Sardaigne, 2008) il est question de fusion et « voix fusionnelle » aux chapitres 8, 9, 12 et notamment 15 où l’on peut lire : la quintina est une voix fusionnelle obtenue par la superposition des harmoniques des différentes voix du chœur. Enfin mon travail ne se limite pas à contester la pertinence de ce concept, mais il propose une explication différente articulée en plusieurs volets, en introduisant la notion d’enveloppe spectrale – donc de formants plutôt que d’harmonique(s) – de zone d’anti-résonance et de masquage. Tout cela découlant de l’interaction entre un chanteur – celui de la voix principale – et les autres membres du chœur.

Je tiens à rappeler, une fois de plus, qu’une bonne partie des informations sur le contexte (social, rituel, humain, etc.) qui accompagne l’exécution du Jesu provient des écrits dont Bernard Lortat-Jacob est l’auteur.

Giuliano d’Angiolini

Jean-Marc Chouvel
Un entretien avec Giuliano d’Angiolini à propos de la sortie de son livre

Giuliano d’Angiolini, Jesu, un chant de confrérie en Sardaigne, Editions Delatour France, Sampzon, 2009.


Chapitre I
L’illusion acoustique d’une voix virtuelle : la quintina


Chapitre II
Introduction à l’analyse


Chapitre III
Analyse : dans ce premier exemple la quintina, “la cinquième petite voix”, réalise une appoggiature alors que les autres voix du chœur restent immobiles


Chapitre IV
Le spectre de la quintina, perçu comme indépendant, appartient en réalité à celui de la bogi


Chapitre V
Explications théoriques
A) Le chanteur de la partie de la bogi doit pouvoir forger son propre spectre de manière à simuler, une fois inséré dans le chœur, celui d’une voix qui chante une octave au dessus. Cela implique, de la part de cette voix, l’établissement de formants qui exaltent un certain nombre d’harmoniques paires.


Chapitre VI
Explications théoriques
B) à l’intérieur d’un ensemble spectral extrêmement dense, les autres voix du chœur ouvrent un espace où apparaissent les premiers deux formants de la quintina. Elle peut se détacher ainsi sur un contexte sonore très riche. Cette zone d’antirésonance produite par les autres voix est une condition à la formation de l’illusion acoustique.


Chapitre VII
Explications théoriques
C) l’une des voix du chœur (le contra) contribue à isoler, par son action masquante, l’enveloppe spectrale de la quintina et favorise la séparation auditive de son spectre de celui de la bogi auquel physiquement il appartient. Ce masquage partiel aide la quintina à se détacher perceptivement.


Chapitre VIII
Contre-exemple et vérification


Chapitre IX
Conclusions : les qualités de modes d’émission


Bibliographie, discographie et webographie sélective :

Giuliano d’Angiolini, Jesu, un chant de confrérie en Sardaigne, Editions Delatour France, Sampzon, 2009.

Bernard Lortat-Jacob, Chants de Passion – Au cœur d’une confrérie de Sardaigne, Les éditions du cerf, Paris, 1998.

Sardaigne. Polyphonies de la Semaine Sainte, B. Lortat-Jacob, CD, Collection du Centre National de la Recherche Scientifique et du Musée de l’Homme, Le Chant du Monde, LDX 274 936

Bernard Lortat-Jacob, La clef d’écoute Polyphonies vocales de Sardaigne, entretien avec Marc Chemillier, Musimédiane, n°3, mai 2008.

Voir aussi :

Canti liturgici di tradizione orale, 4 disques vinyle, P. Arcangeli, R. Leydi, R. Morelli, P. Sassu, Albatros, Alb 21, 1987

Musica sarda – Canti e danze tradizionali, par D. Carpitella, P. Sassu, L. Sole, Vol. 1, Albatros, VPA 815.

Une précédente analyse multimedia du Jesu est disponible à cette adresse web (cf. note de Marc Chemilier)

D’autres documents video concernant le Jesu sur le web :
http://www.youtube.com/watch?v=s5SGIPiu4SY
http://www.youtube.com/watch?v=4bpu10wEkBE

Autres travaux à caractère ethnomusicologique de l’auteur :

« Grèce : musique de l’île de Karpathos », livret d’introduction au disque Grèce : musique de l’île de Karpathos. Buda Records, 92644-2 AD 761,1996. Enregistrements de l’auteur.

« Notes sur la polyphonie de tradition orale à Ceriana (Italie) ». Dans: La vocalité dans les pays d’Europe méridionale et dans le bassin méditerranéen, FAMDT, Collection Modal, Parthenay, 2002, (51 pag., avec CD ; enregistrements de l’auteur).

« Un giorno nella gioia, l’indomani nel pianto. La musica dell’isola di Karpathos ».
Livre (220 pag., avec 2 CD ; enregistrements de l’auteur), Nota, Geos CD Book 607, Trieste, 2007.

« La musica del Ponente Ligure: figure di stile », Musiche tradizionali del Ponente Ligure. En collaboration avec M. Balma. Livre (131 pag., avec CD), Squilibri Editore, Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Roma, 2007.

« Polyphonies vocales de Ligurie : la Compagnia Sacco de Ceriana », livret d’introduction au CD « Italie : polyphonies vocales de Ligurie », Buda Musique, CD 3018100, France, 2010.

Editorial

Dans le prolongement des travaux de Pierre Schaeffer sur la notion d’objet sonore, l’équipe du laboratoire de Musique et Informatique de Marseille (MIM) s’est orientée, depuis une dizaine d’années, vers la définition d’un outil d’analyse musicale basé sur l’écoute : les Unités Sémiotiques Temporelles (UST). Les UST permettent de caractériser des évolutions temporelles musicales à partir de leur organisation morphologique et cinétique [*]. Conçues pour l’analyse de la musique électroacoustique, les UST s’avèrent être efficaces également pour des styles de musique assez variés, comme en témoigne la diversité des analyses actuelles. En tant qu’outil permettant de fournir une signification à des données temporelles, les UST semblent présenter un caractère général qui dépasse le cadre musical. Les premières analyses psychologiques tendent à montrer que les UST seraient liées à des représentations mentales construites très tôt, à partir de l’expérience corporelle du mouvement. Plusieurs études en cours, menées conjointement dans le domaine des arts graphiques, de la danse, en multimédia, mais aussi en neurosciences et en psychologie cognitive, s’intéressent à la généralité que représente une sémiotique temporelle basée sur les UST.

Ce numéro de Musimédiane consacré aux UST se présente principalement sous l’angle de la prospective et de la recherche expérimentale.

La première partie s’articule autour des orientations générales de la recherche actuelle sur les UST. Le premier article présente une vue synthétique de leur définition et des premiers travaux de généralisation des UST à d’autres arts. Cet article est complété par un compte-rendu des actes du colloque consacré aux UST qui s’est tenu en décembre 2005. Les recherches en modélisation des UST seront abordées à travers le modèle des Motifs Temporels Paramétrés (MTP) qui fournit une représentation du comportement temporel global de variables pertinentes. Enfin, la validité cognitive des UST et du modèle des MTP sera étudiée à travers trois expériences menées par le laboratoire Cognitions Humaine et Artificielle (Paris 8).

La seconde partie de ce numéro est consacrée à l’analyse musicale en UST. Une nouvelle œuvre (Le ruisseau sur l’escalier de Franco Donatoni) vient s’ajouter au corpus des morceaux analysés par les membres du MIM, le mode d’expression multimédia en ligne promu par Musimédiane facilitant l’accès du lecteur/auditeur au propos analytique par rapport aux formes de diffusion habituelles papier ou CD-Rom. Mais cette partie du dossier propose aussi une réflexion sur la nature même de la pratique d’écoute et d’analyse développée depuis une vingtaine d’années par le MIM. D’abord à travers la publication d’états successifs (et partiellement contradictoires) d’une même analyse de Lumina d’Ivo Malec. Mais aussi à travers le compte rendu d’une observation socio-ethnographique de quelques séances d’écoute consacrées à l’œuvre de Donatoni déjà citée.

La troisième partie est consacrée à des travaux d’analyse et de création d’oeuvres visuelles ou multimédia se basant sur les UST. Dans le premier article, est proposée une simple animation visuelle conçue à partir du contenu sémantique des fiches descriptives des UST musicales. Dans le second article, l’analyse du film d’animation abstrait Rhythm 21, de Hans Richter, est menée conjointement en UST et en MTP. L’analyse de l’oeuvre multimédia passage, qui est une collaboration du compositeur Marcel Frémiot et de l’artiste multimédia Philippe Bootz, montre la réflexion menée pour donner une cohérence à des évolutions temporelles présentes dans différents médias. Pour terminer ce numéro, nous proposons un programme ludique permettant de simuler des UST visuelles en jouant sur des paramètres de position et de taille.


Notes

[*] En dehors des écrits du MIM, les UST ont été présentées en 1998, lors du 4e congrès ICMS par François Delalande et Pascal Gobin (« Les Unités Sémiotiques Temporelles : un niveau d’analyse de l’organisation musicale du temps », in Les Universaux en musique, actes du 4e Congrès International sur la Signification Musicale, sous la direction de C. Miereanu et X. Hascher, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 573-587).

Xavier Hautbois
Les Unités Sémiotiques Temporelles : de la sémiotique musicale vers une sémiotique générale du temps dans les arts

Consulter l’article

Il y a quelques années maintenant, lors de travaux sur l’hypothèse d’invariants anthropologiques, nous nous sommes intéressé à la théorie des UST et nous avons croisé le chemin de l’équipe du laboratoire de Musique et Informatique de Marseille (MIM). Cet article est la transcription de la conférence que nous avons donnée à Paris, les 3-8 Octobre 2004, lors du Huitième Congrès International sur la Signification Musicale (ICMS8) : Gestes, formes et processus signifiants en musique et sémiotique interarts[[Nous avons supprimé du texte originel deux parties redondantes avec d’autres articles de ce numéro de Musimédiane : la validation cognitive des UST et l’analyse de l’animation Sodazoo, Simulation2. Le titre de cette conférence de 2004 a été repris par les membres du MIM comme titre des actes du colloque de Marseille consacré aux UST, publiés en 2008 : FORMOSA M., RIX E., Vers une sémiotique générale du temps dans les arts, actes du colloque Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST) : théories et applications du 7-9 décembre 2005, Paris, IRCAM/Editions Delatour (coll. « Musique/Sciences »), 2008.]]. L’objet de cette conférence était de faire le point sur les premiers résultats de la recherche dans ce domaine. Une recherche qui sollicite des membres de différents laboratoires : l’Institut d’Esthétique des Arts et Technologies (Paris I), le laboratoire Paragraphe (Paris VIII), le laboratoire Cognitions Humaine et Artificielle (Paris VIII) et l’Institut de Neurosciences Cognitives de la Méditerranée (CNRS).

Cet article est donc une introduction à la théorie musicale des UST et à leur généralisation à d’autres arts.