Giuliano D’Angiolini
Réponse à Marc Chemillier

D’abord une précision méthodologique. Pour avoir étudié la musique de l’île de Karpathos pendant de longues années, je sais ce que la fréquentation du terrain (voir une profonde implication personnelle en son sein) apporte de finesse dans la connaissance. Ainsi, dans ma publication sur le « Jesu » de Castelsardo, je préviens d’emblée le lecteur qu’il faudra considérer celle-ci davantage comme un essai musicologique qu’ethnomusicologique. Il s’agissait de travailler sur un phénomène acoustique en tant qu’objet physique, in vitro. Une bonne moitié du livre est dédiée d’ailleurs à l’analyse de la grammaire musicale, de sa dimension historique, de la conduite de parties vocales, du contrepoint, de la forme : tout cela sur la base d’une transcription du chant que j’ai mis au point au préalable. La transcription peut faire l’objet d’une étude menée avec les moyens de l’analyse compositionnelle, à l’instar d’une partition de musique savante. Mon étude ne prétendait pas affronter tous les aspects de cette tradition, mais seulement ce qui pouvait être déduit à partir des ces donnés – pour ainsi dire – « de laboratoire » : la transcription musicale et le sonogramme. D’ailleurs aucune approche ne peut prétendre à l’exhaustivité : toute analyse circonscrit son propre champ d’application.

Marc Chemillier souligne – à juste titre – l’importance de l’étude des modes productifs, des techniques vocales, du « faire ». Le monde est plein de traditions vocales étonnantes dont l’aspect physiologique n’a pas été étudié (avec l’exception notable du chant diphonique et du kharaghirà des Mongols). Concernant le chant de Castelsardo, j’ai moi-même indiqué quelques possibles pistes à suivre : il faudra considérer que, dans ces types d’émission, les chanteurs exercent une forte pression sur la glotte, ce qui explique le remarquable enrichissement du spectre dans la partie moyenne-aigüe. Ceci est d’ailleurs un point en commun que la vocalité sarde entretien avec celle de l’aire mongole. Des processus de nasalisation, perceptibles à l’écoute, peuvent expliquer la formation de zones d’anti-résonance. Et puis, bien sûr, (comme le fait remarquer Bernard Lortat-Jacob) les chanteurs procèdent à des ajustements vocaliques destinés à exalter certains formants ou, au contraire, à les amoindrir. Il est clair, par exemple, que la position et les caractéristiques des formants de la bogi (résonances qui forment l’ébauche de l’enveloppe spectrale de la quintina) sont liées au rendu de la voyelle. De plus, un tel ajustement est indispensable pour adapter leur position de manière à reproduire le phénomène sur différentes hauteurs.

Une étude sur la physiologie du chant ne pourra se passer de la fréquentation du terrain et des échanges entre le chercheur et les chanteurs. C’est un aspect qui ne faisait pas partie des objectifs de ma recherche. Du reste, il ne faudra pas confondre les divers moments de l’investigation : la compréhension du phénomène acoustique et psychoacoustique est autre chose que la modélisation de techniques employées pour l’obtenir.

Il me faut préciser aussi que, dans mon étude, j’ai bien pris en compte toutes les publications et interventions de Bernard Lortat-Jacob sur la question de la quintina. Il me semble que sa théorie est généralement connue (et reprise par d’autres auteurs) telle que je l’ai décrite, à savoir que ce phénomène s’expliquerait par un effet de « fusion » de spectres de différentes voix entre-elles. Si cette notion a changé de sens pour son auteur, cela n’apparaît pas précisément formulé dans ses interventions successives à ses écrits plus anciens, bien au contraire. Dans l’interview parue dans Musimediane N°3 (La clef d’écoute, Polyphonies vocales de Sardaigne, 2008) il est question de fusion et « voix fusionnelle » aux chapitres 8, 9, 12 et notamment 15 où l’on peut lire : la quintina est une voix fusionnelle obtenue par la superposition des harmoniques des différentes voix du chœur. Enfin mon travail ne se limite pas à contester la pertinence de ce concept, mais il propose une explication différente articulée en plusieurs volets, en introduisant la notion d’enveloppe spectrale – donc de formants plutôt que d’harmonique(s) – de zone d’anti-résonance et de masquage. Tout cela découlant de l’interaction entre un chanteur – celui de la voix principale – et les autres membres du chœur.

Je tiens à rappeler, une fois de plus, qu’une bonne partie des informations sur le contexte (social, rituel, humain, etc.) qui accompagne l’exécution du Jesu provient des écrits dont Bernard Lortat-Jacob est l’auteur.

Giuliano d’Angiolini

Jean-Marc Chouvel
Un entretien avec Giuliano d’Angiolini à propos de la sortie de son livre

Giuliano d’Angiolini, Jesu, un chant de confrérie en Sardaigne, Editions Delatour France, Sampzon, 2009.


Chapitre I
L’illusion acoustique d’une voix virtuelle : la quintina


Chapitre II
Introduction à l’analyse


Chapitre III
Analyse : dans ce premier exemple la quintina, “la cinquième petite voix”, réalise une appoggiature alors que les autres voix du chœur restent immobiles


Chapitre IV
Le spectre de la quintina, perçu comme indépendant, appartient en réalité à celui de la bogi


Chapitre V
Explications théoriques
A) Le chanteur de la partie de la bogi doit pouvoir forger son propre spectre de manière à simuler, une fois inséré dans le chœur, celui d’une voix qui chante une octave au dessus. Cela implique, de la part de cette voix, l’établissement de formants qui exaltent un certain nombre d’harmoniques paires.


Chapitre VI
Explications théoriques
B) à l’intérieur d’un ensemble spectral extrêmement dense, les autres voix du chœur ouvrent un espace où apparaissent les premiers deux formants de la quintina. Elle peut se détacher ainsi sur un contexte sonore très riche. Cette zone d’antirésonance produite par les autres voix est une condition à la formation de l’illusion acoustique.


Chapitre VII
Explications théoriques
C) l’une des voix du chœur (le contra) contribue à isoler, par son action masquante, l’enveloppe spectrale de la quintina et favorise la séparation auditive de son spectre de celui de la bogi auquel physiquement il appartient. Ce masquage partiel aide la quintina à se détacher perceptivement.


Chapitre VIII
Contre-exemple et vérification


Chapitre IX
Conclusions : les qualités de modes d’émission


Bibliographie, discographie et webographie sélective :

Giuliano d’Angiolini, Jesu, un chant de confrérie en Sardaigne, Editions Delatour France, Sampzon, 2009.

Bernard Lortat-Jacob, Chants de Passion – Au cœur d’une confrérie de Sardaigne, Les éditions du cerf, Paris, 1998.

Sardaigne. Polyphonies de la Semaine Sainte, B. Lortat-Jacob, CD, Collection du Centre National de la Recherche Scientifique et du Musée de l’Homme, Le Chant du Monde, LDX 274 936

Bernard Lortat-Jacob, La clef d’écoute Polyphonies vocales de Sardaigne, entretien avec Marc Chemillier, Musimédiane, n°3, mai 2008.

Voir aussi :

Canti liturgici di tradizione orale, 4 disques vinyle, P. Arcangeli, R. Leydi, R. Morelli, P. Sassu, Albatros, Alb 21, 1987

Musica sarda – Canti e danze tradizionali, par D. Carpitella, P. Sassu, L. Sole, Vol. 1, Albatros, VPA 815.

Une précédente analyse multimedia du Jesu est disponible à cette adresse web (cf. note de Marc Chemilier)

D’autres documents video concernant le Jesu sur le web :
http://www.youtube.com/watch?v=s5SGIPiu4SY
http://www.youtube.com/watch?v=4bpu10wEkBE

Autres travaux à caractère ethnomusicologique de l’auteur :

« Grèce : musique de l’île de Karpathos », livret d’introduction au disque Grèce : musique de l’île de Karpathos. Buda Records, 92644-2 AD 761,1996. Enregistrements de l’auteur.

« Notes sur la polyphonie de tradition orale à Ceriana (Italie) ». Dans: La vocalité dans les pays d’Europe méridionale et dans le bassin méditerranéen, FAMDT, Collection Modal, Parthenay, 2002, (51 pag., avec CD ; enregistrements de l’auteur).

« Un giorno nella gioia, l’indomani nel pianto. La musica dell’isola di Karpathos ».
Livre (220 pag., avec 2 CD ; enregistrements de l’auteur), Nota, Geos CD Book 607, Trieste, 2007.

« La musica del Ponente Ligure: figure di stile », Musiche tradizionali del Ponente Ligure. En collaboration avec M. Balma. Livre (131 pag., avec CD), Squilibri Editore, Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Roma, 2007.

« Polyphonies vocales de Ligurie : la Compagnia Sacco de Ceriana », livret d’introduction au CD « Italie : polyphonies vocales de Ligurie », Buda Musique, CD 3018100, France, 2010.

Editorial

Dans le prolongement des travaux de Pierre Schaeffer sur la notion d’objet sonore, l’équipe du laboratoire de Musique et Informatique de Marseille (MIM) s’est orientée, depuis une dizaine d’années, vers la définition d’un outil d’analyse musicale basé sur l’écoute : les Unités Sémiotiques Temporelles (UST). Les UST permettent de caractériser des évolutions temporelles musicales à partir de leur organisation morphologique et cinétique [*]. Conçues pour l’analyse de la musique électroacoustique, les UST s’avèrent être efficaces également pour des styles de musique assez variés, comme en témoigne la diversité des analyses actuelles. En tant qu’outil permettant de fournir une signification à des données temporelles, les UST semblent présenter un caractère général qui dépasse le cadre musical. Les premières analyses psychologiques tendent à montrer que les UST seraient liées à des représentations mentales construites très tôt, à partir de l’expérience corporelle du mouvement. Plusieurs études en cours, menées conjointement dans le domaine des arts graphiques, de la danse, en multimédia, mais aussi en neurosciences et en psychologie cognitive, s’intéressent à la généralité que représente une sémiotique temporelle basée sur les UST.

Ce numéro de Musimédiane consacré aux UST se présente principalement sous l’angle de la prospective et de la recherche expérimentale.

La première partie s’articule autour des orientations générales de la recherche actuelle sur les UST. Le premier article présente une vue synthétique de leur définition et des premiers travaux de généralisation des UST à d’autres arts. Cet article est complété par un compte-rendu des actes du colloque consacré aux UST qui s’est tenu en décembre 2005. Les recherches en modélisation des UST seront abordées à travers le modèle des Motifs Temporels Paramétrés (MTP) qui fournit une représentation du comportement temporel global de variables pertinentes. Enfin, la validité cognitive des UST et du modèle des MTP sera étudiée à travers trois expériences menées par le laboratoire Cognitions Humaine et Artificielle (Paris 8).

La seconde partie de ce numéro est consacrée à l’analyse musicale en UST. Une nouvelle œuvre (Le ruisseau sur l’escalier de Franco Donatoni) vient s’ajouter au corpus des morceaux analysés par les membres du MIM, le mode d’expression multimédia en ligne promu par Musimédiane facilitant l’accès du lecteur/auditeur au propos analytique par rapport aux formes de diffusion habituelles papier ou CD-Rom. Mais cette partie du dossier propose aussi une réflexion sur la nature même de la pratique d’écoute et d’analyse développée depuis une vingtaine d’années par le MIM. D’abord à travers la publication d’états successifs (et partiellement contradictoires) d’une même analyse de Lumina d’Ivo Malec. Mais aussi à travers le compte rendu d’une observation socio-ethnographique de quelques séances d’écoute consacrées à l’œuvre de Donatoni déjà citée.

La troisième partie est consacrée à des travaux d’analyse et de création d’oeuvres visuelles ou multimédia se basant sur les UST. Dans le premier article, est proposée une simple animation visuelle conçue à partir du contenu sémantique des fiches descriptives des UST musicales. Dans le second article, l’analyse du film d’animation abstrait Rhythm 21, de Hans Richter, est menée conjointement en UST et en MTP. L’analyse de l’oeuvre multimédia passage, qui est une collaboration du compositeur Marcel Frémiot et de l’artiste multimédia Philippe Bootz, montre la réflexion menée pour donner une cohérence à des évolutions temporelles présentes dans différents médias. Pour terminer ce numéro, nous proposons un programme ludique permettant de simuler des UST visuelles en jouant sur des paramètres de position et de taille.


Notes

[*] En dehors des écrits du MIM, les UST ont été présentées en 1998, lors du 4e congrès ICMS par François Delalande et Pascal Gobin (« Les Unités Sémiotiques Temporelles : un niveau d’analyse de l’organisation musicale du temps », in Les Universaux en musique, actes du 4e Congrès International sur la Signification Musicale, sous la direction de C. Miereanu et X. Hascher, Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 573-587).

Xavier Hautbois
Les Unités Sémiotiques Temporelles : de la sémiotique musicale vers une sémiotique générale du temps dans les arts

Consulter l’article

Il y a quelques années maintenant, lors de travaux sur l’hypothèse d’invariants anthropologiques, nous nous sommes intéressé à la théorie des UST et nous avons croisé le chemin de l’équipe du laboratoire de Musique et Informatique de Marseille (MIM). Cet article est la transcription de la conférence que nous avons donnée à Paris, les 3-8 Octobre 2004, lors du Huitième Congrès International sur la Signification Musicale (ICMS8) : Gestes, formes et processus signifiants en musique et sémiotique interarts[[Nous avons supprimé du texte originel deux parties redondantes avec d’autres articles de ce numéro de Musimédiane : la validation cognitive des UST et l’analyse de l’animation Sodazoo, Simulation2. Le titre de cette conférence de 2004 a été repris par les membres du MIM comme titre des actes du colloque de Marseille consacré aux UST, publiés en 2008 : FORMOSA M., RIX E., Vers une sémiotique générale du temps dans les arts, actes du colloque Les Unités Sémiotiques Temporelles (UST) : théories et applications du 7-9 décembre 2005, Paris, IRCAM/Editions Delatour (coll. « Musique/Sciences »), 2008.]]. L’objet de cette conférence était de faire le point sur les premiers résultats de la recherche dans ce domaine. Une recherche qui sollicite des membres de différents laboratoires : l’Institut d’Esthétique des Arts et Technologies (Paris I), le laboratoire Paragraphe (Paris VIII), le laboratoire Cognitions Humaine et Artificielle (Paris VIII) et l’Institut de Neurosciences Cognitives de la Méditerranée (CNRS).

Cet article est donc une introduction à la théorie musicale des UST et à leur généralisation à d’autres arts.

Nicolas Donin
Compte rendu des Actes du colloque de 2005

RESUME : En décembre 2005 s’est tenu à Marseille le colloque « Les unités sémiotiques temporelles (UST), nouvel outil d’analyse musicale : théories et applications ». Les Actes en ont été publiés trois ans plus tard par le MIM sous le titre Vers une sémiotique générale du temps vers les arts. Ce compte rendu discute les principaux apports des contributions réunis dans l’ouvrage coordonnée par Marcel Formosa et Emmanuelle Rix.

 

Emmanuelle Rix et Marcel Formosa, éds., Vers une sémiotique générale du temps dans les arts. Actes du colloque « Les unités sémiotiques temporelles (UST), nouvel outil d’analyse musicale : théories et applications » Marseille 7-9 décembre 2005, Paris-Sampzon, Ircam-Delatour France, collection Musique/Sciences, 2008, 340 p. + CD-Rom.

S’il est un phénomène que le colloque de 2005, puis ses actes, ont manifesté de façon évidente, c’est que l’objet théorique « Unités Sémiotiques Temporelles » se prête à l’expérimentation. De l’analyse musicale aux dispositifs pédagogiques d’enseignement de la composition, de la création typographique à l’analyse chorégraphique, en passant par divers essais de frottements épistémologiques (avec la biosémiotique, la narratologie, la psychologie cognitive, les traités de rhétorique musicale baroque…) : les usages récents des UST apparaissent plus foisonnants, plus centrifuges qu’à l’époque des premières formulations publiques du programme de recherche sur les UST, c’est-à-dire l’époque de la collaboration approfondie entre le MIM et François Delalande (Les Unités sémiotiques temporelles. Eléments nouveaux d’analyse musicale, Marseille, M.I.M. (diffusion Eska), 1996).

Disons-le tout de suite, à la lecture du nouveau jalon qu’est ce nouvel ouvrage, il n’est pas une direction de recherche ou un paradigme qui apparaîtrait de façon privilégiée au fil de la lecture. Dans un sommaire fourni, quelques articles vont bien dans le sens d’une clarification des enjeux, que ce soit par la modélisation (voir l’approche mathématique de Bootz et Hautbois et son implémentation informatique), ou par des recoupements entre la théorie des UST et d’autres théories sémiotiques (voir notamment les tentatives de comparaison systématiques proposées par Grabócz et Giacco). Néanmoins il manque certainement une vue panoramique et hiérarchisée qui indiquerait les lignes de force du programme ainsi enrichi. Le sommaire, commodément divisé en quatre grandes parties (analyse, théorie, pédagogie, création), ne met pas en scène les déplacements du savoir, les catégories et regroupements inédits, qui émergent peut-être à la faveur de la multiplicité des travaux présentés. En attendant que cette image nouvelle des UST ne se stabilise, à la faveur des nouveaux travaux du MIM mais aussi d’initiatives externes comme le présent numéro de Musimédiane, le lecteur pourra en tout cas « faire son marché » dans les dizaines de propositions, démarches, réalisations des années 2000 recensées dans ce fort volume que nous parcourrons à notre tour ci-dessous.

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La première partie regroupe, sous le titre « Les UST comme outils d’analyse », des contributions de Marcel Frémiot & Marcel Formosa (analyse en UST d’une œuvre de Costin Miereanu) et Anne Roche (perspectives de transposition des UST à l’analyse littéraire), ainsi que deux brèves notes sur l’analyse en UST du multimédia et du cinéma d’animation (Aurélie Igonet, Franck Dufour).

Le texte de Frémiot et Formosa est une analyse en UST assez canonique : elle est basée sur des séances d’écoute d’un enregistrement de l’œuvre ; elle propose un parcours linéaire du flux temporel de cet enregistrement décrit par des successions d’UST ; elle pointe des cas litigieux ; elle ouvre sur quelques notations herméneutiques quant au sens de l’œuvre, en se référant notamment à son titre (ici : Les Labyrinthes d’Adrien). Une particularité cependant – l’agnosticisme analytique – est poussée assez loin, puisque c’est le compositeur qui a proposé aux membres du MIM d’analyser cette œuvre méconnue sans leur donner d’éléments de contexte ni de documentation, et ce en vue d’une comparaison ultérieure entre l’interprétation analytique et le projet compositionnel initial. Résultat ? D’abord, quelques notations analytiques instructives, comme, par exemple, celles mettant en évidence un jeu entre matière sonore et UST : parfois la matière change mais pas l’UST, parfois c’est l’UST qui change malgré une continuité de matière ; ceci souligne des logiques d’ambiguïté qui seront rattachables à la notion de labyrinthe. Ensuite, l’intérêt d’un recoupement avec le propos du compositeur (auteur d’un post scriptum à l’analyse) : il retraduit certains résultats analytiques ou donne des raisons aux points d’hésitation des auteurs dans le découpage formel. Enfin, à propos de ce dernier, une question de méthode semble irrésolue (ou insuffisamment discutée) : plutôt que de présegmenter l’œuvre en grandes sections avant d’analyser en UST le détail des sections, ne faudrait-il pas que le regroupement des unités en unités de plus haut niveau émane lui-même de l’analyse linéaire en UST de toute l’œuvre (comme le MIM s’y essaie ici même au terme d’une analyse de Lumina de Malec) ?

Contrairement à cette analyse, qui s’inscrit dans une série déjà longue, les autres textes de cette partie sont au mieux des amorces de cadres d’analyse possibles. Roche présente de façon concise quelques principes de l’analyse narratologique en s’interrogeant sur la possibilité (et l’intérêt) de les transposer à la musique. La fin du texte présente une liste d’interrogations survenues au fil de l’écoute des autres communications du colloque, qui sont autant de thèmes de rencontre possibles entre musiciens et littéraires : l’hétérogène, l’ellipse, le flashback, la mise en abyme, le cut up… Igonet propose d’utiliser les UST comme catégories d’analyse de différentes documentations multimédia (mais la méthodologie n’est pas expliquée ni le corpus introduit) afin de bien rendre compte de la dimension temporelle des interactions induites par leur consultation – y compris les boucles sonores particulièrement présentes dans ces productions. Dufour présente une note d’intention pour des travaux pédagogiques de classification des captures de mouvement 3D.

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La deuxième partie du livre rassemble des « approches théoriques » divisées en « expérimentale », « théoriques comparées » et « mathématique », et se conclut par un dossier sur la question de la catégorisation en UST. Les différentes expérimentations de psychologie cognitive présentées en détail par Frey, Tijus et McAdams et par Ystad, Kronland-Martinet, Schön et Besson ne se réfèrent pas directement aux UST (ces articles portent sur des questions de segmentation et de sémiose par des groupes de sujets confrontés à des stimuli musicaux plus ou moins complexes, ce qui pourrait rejoindre le terrain des UST moyennant déplacement ou transposition des problématiques présentées). Le reste de cette deuxième partie rassemble, en revanche, certains des principaux travaux approfondis sur et avec les UST.

Tout d’abord, Márta Grabócz souligne les points de convergences entre plusieurs approches typologiques de l’articulation langagière contemporaine dûes à des compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle, souvent étroitement liés à la pensée électroacoustique et mixte : François-Bernard Mâche, Trevor Wishart, Denis Smalley, Costin Miereanu, Salvatore Sciarrino et François Bayle. Dans la mesure où les méthodes de chacun sont inégalement formalisées et souvent sans véritable point commun, les recoupements pertinents s’avèrent limités, mais potentiellement d’autant plus universels : tous font référence à une forme temporelle tripartite, à un vocabulaire aquatique, à l’idée de point de culminant, et à des notions de statisme. Grazia Giacco consacre son article à une comparaison plus systématique entre les éléments de théorisation de l’écoute élaborés par Sciarrino dans Le Figure della Musica (Milan, Ricordi, 1998) et d’autres écrits, et les UST dont l’élaboration se trouve avoir été strictement contemporaine. Beaucoup de principes communs frappent : l’ancrage dans l’écoute musicale, le parallèle avec les arts visuels, l’appui sur des unités minimales de tailles comparables, la volonté universaliste de forger un vocabulaire non lié à un répertoire ou une culture spécifiques etc. Les UST « délimitées dans le temps » et les notions sciarriniennes de multiplication ou de Little-bang recouvrent assurément certaines réalités communes, quoique l’écart entre discours de compositeur-pédagogue et construction théorique collective ne permette pas de pousser la comparaison à un grain très fin. Ce qui se dégage en tout cas, c’est l’émergence d’un paradigme analytico-compositionnel contemporain basé sur l’écoute et sur la signification, terreau pour une éventuelle Figurenlehre du XXIe siècle dont quelques éléments sont mis en perspective historique par Elvio Cipollone, dans l’article suivant, au moyen de concepts rhétoriques baroques et classiques que cet auteur tente de traduire en musique et en UST. L’article substantiel de Philippe Bootz et Xavier Hautbois propose quant à lui de formaliser les UST par abstraction et quantification de leur structure temporelle fondamentale, exprimée et représentée par des schémas assemblant ce que les auteurs appellent des « profilèmes », soit des fonctions élémentaires déterminant l’évolution temporelle d’une ou plusieurs variables pertinentes. Cette sorte de littéralisation physico-mathématique des UST – les auteurs leur substituent dès lors leur concept de Motifs Temporels Paramétrés (voir ici même) – ouvre, entre autres choses, l’horizon de leur implémentation informatique. Pour cette première détermination concrète des MTP, basée sur l’exploitation de deux paramètres jugés nécessaires et suffisants, la fréquence et l’intensité, les auteurs ont procédé à un cycle de modélisation complet allant jusqu’à la resynthèse d’échantillons sonores. Ces derniers sont proposés dans l’utile CD-Rom d’exemples musicaux fourni avec le livre, donnant une force particulière à leur démonstration : si certains exemples peuvent, à la première écoute, donner le sentiment que le MTP est trop (« élan (en intensité) » dans Ainsi la Nuit) ou pas assez (« sans direction par excès d’information » dans Lumina) sélectif à l’égard de l’UST, le plus souvent l’expérience d’écoute est enrichissante par le filtrage conceptuel qu’elle permet, allant jusqu’à de salutaires effets d’estrangement (l’incipit « qui veut démarrer » de la Symphonie Jupiter !). Enfin, une « table ronde » rassemble des mises en perspective des UST par rapport à divers cadres théoriques : Kevin Chapuy montre comment divers programmes de recherches alternatifs sur la cognition (de la logique aristotélicienne au paradigme de l’enaction) peuvent appréhender la catégorisation en UST ; Martine Timsit-Berthier se réfère à la biosémiotique pour mettre en exergue des chantiers à explorer autour du rôle de la communication non verbale dans le développement psychologique de l’enfant, ainsi qu’en phénoménologie du mouvement humain ; Jacques Mandelbrojt propose de rapprocher les UST des quatre éléments bachelardiennes ; Xavier Hautbois propose une division des UST en variants et invariants (voir ici même / 3. Classement des UST), d’une grande efficacité didactique, dont il soumet la validation à de futures études ; enfin, Marcel Frémiot et Sébastien Poitrenaud proposent une représentation des caractéristiques énergétiques partagées par les UST suivant un treillis de Galois.

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La brève troisième partie, consacrée aux « applications pédagogiques », porte sur quelques situations de transmission, très variées : cours de Licence de multimédia, enseignement instrumental et électroacoustique en Conservatoire, cours de musique en Collège, ou encore animation musicale en Jardin d’enfants. En cohérence avec l’abstraction du musical au temporel que représente le passage des UST aux MTP, Xavier Hautbois a utilisé les UST dans son enseignement à l’IUT de Vélizy tant pour initier des étudiants non musiciens aux questions de description du musical (avec les enjeux de segmentation et de nomination), que pour les doter de moyens de penser la matière même de leur formation, le multimédia, dans des termes analytiques appropriés. Daniele Gugelmo présente une brève analyse de Songes de Risset réalisée dans le cadre de l’enseignement électroacoustique de Michel Pascal. Lucie Prod’homme montre comment elle recourt aux UST, elle aussi, dans le cadre de son enseignement électroacoustique (rappelons que cet usage était l’une des finalités, l’une des raisons d’être du programme de travail fondateur du MIM ayant mené à la découverte des UST) ; mais elle montre aussi des usages compositionnels et improvisationnels des UST (illustrés par des extraits sonores dans le CD-Rom joint au livre) et conclut par une perspective prometteuse d’utilisation des UST comme indications d’interprétation, donnant l’exemple de plusieurs versions (toujours sur le CD-Rom) d’extraits de la 6e Partita de J.-S. Bach, dont on retiendra particulièrement les variations expressives sur la mes. 9 sq., montrant qu’un même support notationnel peut potentiellement donner lieu à des réalisations sonores nettement distinctes en termes d’UST : tantôt « stationnaire », tantôt « qui avance », ou encore « par vague »… François Londeix expose le fruit de ses expériences de mise au point d’une séquence pédagogique utilisant les UST en Troisième ; la méthode employée, fondée sur une différenciation des écoutes successives et sur un primat chronologique de la pratique sur l’écoute réduite, gagnerait à être discutée et testée sur d’autres dispositifs, pédagogiques ou non.

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La quatrième et dernière partie du livre expose divers essais de création musicale, mais aussi chorégraphique et typographique, à partir des UST. Le projet de « composer en UST » amène avec acuité, plus frontalement qu’en analyse musicale, le problème de la forme : comment penser des unités supérieures d’organisation à partir d’un catalogue d’éléments atomiques ? Pour y répondre, Jean-Louis Di Santo reprend à son compte une généalogie linguistique et sémiotique multiple – y compris la reprise de Peirce par François Bayle et jusqu’à des éléments de psychanalyse jungienne – pour remodeler les modalités de classification des UST et, de là, leurs perspectives d’intégration dans une syntaxe musicale ; sur cette base, il élabore une symphonie pour instruments et bande intitulée Métalangage, mimant « l’élaboration d’un langage dans son rapport avec le monde réel ou perçu » (p. 268) au moyen d’UST dont quelques descriptions de la première partie de l’œuvre rendent compte. Jocelyne Kiss propose d’utiliser les UST pour associer les modalités sonore et visuelle d’interaction gestuelle (via des capteurs) avec un dispositif informatique. Tristan-Patrice Challulau plaide (en musique) « pour une 20e UST » guère orthodoxe, baptisée « qui interrompt ». Marcel Frémiot et Lucie Prod’homme exposent des travaux communs, en particulier un essai de transposition du célèbre jeu de dés musical de Mozart consistant – à Marseille au XXIe siècle – en une grille d’UST pour laquelle Prod’homme a composé des parties électroacoustiques, Frémiot des parties instrumentales, les deux pouvant être exécutées dans l’ordre tiré au sort ; les auteurs mettent en avant le problème des modalités d’enchaînement entre deux séquences, dont la difficulté peut être dûe à l’incongruité de succession de deux UST spécifiques, mais aussi à la nature des extraits précomposés. Dora Feïlane et Charles Tijus exposent les résultats préliminaires d’un travail de classification d’un répertoire de 47 mouvements de danse (filmés et décrits) confrontés au 19 UST ; peu de mouvements n’ont évoqué aucune UST, certaines UST semblent pouvoir s’appliquer à de larges échantillons du corpus, enfin la majorité des mouvements se laisse répartir et représenter graphiquement suivant une division en UST. Marie-Christine Forget souligne les apories d’une tentative de mise en correspondance des UST avec les caractéristiques morphologiques et sémantiques de la gestique du chef d’orchestre – en particulier dès lors que cette dernière s’écarte de quelques gestes basiques assimilables à « qui avance », « qui tourne », « trajectoire inexorable » et « par vagues ». Enfin, de brefs textes portent au terme de l’ouvrage quelques interrogations sur la pertinence des UST pour les arts plastiques, visuels, graphiques dans lesquels la temporalité, si elle est fondamentale, reste indirecte : faudra-t-il, comme le demande Magali Latil, des « Unités Sémiotiques Spatio-Temporelles » ? En attendant, Julie Rousset expose la façon dont elle tenté de synthétiser graphiquement chaque UST, aboutissant aux élégants glyphes désormais repris par les animateurs du MIM sur leur site (voir plus particulièrement la page UST et graphisme).

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S’il fallait trouver un point commun à une large majorité de ces textes, ce serait certainement celui-ci : même lorsqu’ils critiquent vigoureusement tel ou tel aspect du corps de doctrine établi par le MIM, les contributeurs à la petite communauté de recherche réunie autour des UST s’intéressent rarement à refaire les opérations de constitution du catalogue établi par le MIM. Au fond, les tables de la loi, quoique fluctuantes quant au nombre d’UST et au détail de leurs dénominations, sont considérées comme une base solide définissant un vocabulaire partageable. Personne n’est d’accord sur la meilleure façon de classifier les UST (et c’est bien normal car leurs usages sont pluriels, appelant des regroupements pluriels), mais tout le monde, semble-t-il, a définitivement adopté la façon dont les plus célèbres d’entre elles (« qui veut démarrer », « lourdeur » et autres « sur l’erre ») ambitionnent de rendre compte de l’écoute musicale. Cette façon de prendre pour acquis le répertoire des UST est, me semble-t-il, à la fois une réussite et un problème. La réussite tient au caractère d’évidence de beaucoup de ces dénominations qui permet leur utilisation effective et leur validation à chacune de ces utilisations : si personne n’admettait (au moins à titre d’approximation) les principales UST définies par le MIM (sachant qu’elles prétendent à l’universalité), il n’y aurait même pas lieu de se réunir pour en débattre. Le problème, c’est que la scientificité de ces concepts (au sein même des « sciences de la musique » chère à François Delalande) suppose une mise à l’épreuve régulière de leur constitution qui pourrait consister, par exemple, pour d’autres collectifs que ceux du MIM, mais adoptant la même méthode de travail, à rechercher à leur tour des « Unités Sémiotiques Temporelles » (en musique …ou autre) pour pouvoir valider ou invalider le recensement existant. Ce genre de critique « de l’intérieur » n’a, à ma connaissance, pas été entrepris ; ce serait en quelque sorte l’envers des mises à l’épreuve « externes » ou « a posteriori » que réussissent déjà les travaux les plus approfondis résumés plus haut, notamment lorsque la modélisation permet des expériences d’altération graduée des UST, testant de fait les limites de leur définition descriptive. L’une comme l’autre approches devraient certainement permettre, en tout cas, d’ici un autre grand colloque futur, de donner un peu de chair à ce qui n’est encore, à l’étape actuelle, que la promesse d’un titre : une sémiotique générale du temps dans les arts.