Afin de comprendre la manière dont la préparation du piano pouvait modifier la pratique de l’improvisation, nous avons documenté en audio et en vidéo cinq improvisations de la pianiste Ève Risser – deux en solo, deux avec un musicien avec lequel elle n’avait jamais joué auparavant, et une avec un musicien avec lequel elle improvise régulièrement. À l’issue de chacune de ces performances, et à partir du visionnage de l’enregistrement de l’improvisation, la pianiste s’est livrée à une séance de verbalisation dans laquelle elle devait tenter de restituer les diverses pensées qui l’avaient traversée dans le cours de l’improvisation. Ces données ont été complétées par deux entretiens avec la pianiste et par l’examen de différents carnets de notes prises par Ève Risser entre 2008 et 2010, dans lesquels celle-ci documente son travail du piano préparé.
Nous montrons ainsi que le travail de préparation du piano peut être lu comme une matérialisation progressive d’un répertoire timbral, les sons étant systématiquement associés à des objets, et réciproquement. Au final, c’est l’instrument lui-même qui, dans le temps long du travail de l’improvisateur, se trouve progressivement modifié : dépositaire d’une information musicale qui se sédimente au fil des expériences, l’instrument se fonctionnalise, se structure, s’organise, bref devient dispositif d’improvisation à part entière. Ainsi transformé, l’instrument participe de manière essentielle à certains processus cognitifs du musicien, pour devenir partie intégrante de « l’esprit élargi » de l’improvisateur.