Ce numéro de Musimédiane présente des analyses musicales utilisant le multimédia dans le domaine particulier des musiques non écrites. On entend par là, dans un sens assez large, les musiques dont l’exécution n’est pas précédée par une phase de composition comme dans la musique savante écrite occidentale ou la musique électroacoustique (le moyen d’écriture est la partition dans le premier cas et la bande magnétique dans le second). Cela concerne essentiellement les musiques traditionnelles et le jazz. Il peut s’agir de musiques improvisées (ce thème sera traité spécifiquement dans un numéro ultérieur de Musimédiane) ou non improvisées comme certaines musiques traditionnelles dont la forme est plus ou moins figée (par exemple les polyphonies vocales de Sardaigne), même si elle n’est jamais matérialisée ailleurs que dans une mémoire collective.
Sur le plan multimédia, l’absence d’une convention de notation de ces musiques partagée au sein d’une large communauté pose des problèmes spécifiques. La première question que l’on est amené à résoudre, en effet, est de savoir comment les représenter graphiquement. On verra dans ce numéro une grande variété de possibilités explorées par les auteurs.
Au-delà de la notation, l’analyse de musiques étrangères à la tradition analytique savante occidentale, telles que les musiques traditionnelles (et dans une certaine mesure le jazz) nécessite certaines précautions particulières. En ethnomusicologie, l’étude du contexte culturel et social de la musique est indissociable de l’analyse musicale proprement dite. C’est elle qui garantit la pertinence des analyses et, de ce fait, elle en modifie profondément la pratique. Cela est vrai aussi dans le jazz où le contexte culturel et esthétique n’est pas le même que dans la musique classique (une phrase musicale n’est pas jouée de la même manière par un orchestre de jazz et par un orchestre symphonique). Dans ces conditions, le but de l’analyse est de fournir des « clefs d’écoute » (au sens que Bernard Lortat-Jacob donne à ce terme) permettant de comprendre comment une musique est entendue au sein d’une culture donnée.
Les articles n’ont pas tous le même degré d’association entre l’analyse musicale et le contexte culturel et esthétique. Mais il nous a paru utile de rassembler ici, à côté de travaux relevant de l’ethnomusicologie de terrain au sens propre ancrée dans un contexte donné, d’autres qui ne s’y rattachent pas directement, mais qui apportent un éclairage intéressant et novateur sur l’utilisation de techniques multimédia dans l’analyse des musiques non écrites.
Certains auteurs ayant participé à ce numéro sont des ethnomusicologues. Deux, en particulier, ont marqué le développement du multimédia pour l’analyse musicale : Simha Arom avec le CD-ROM Aka paru en 1998, et Bernard Lortat-Jacob avec la clef d’écoute sur les polyphonies sardes réalisée en 2001. Le numéro accueille également des pédagogues, analystes ou musiciens. Le dossier spécial « Réflexions sur le multimédia appliqué aux musiques non écrites » présente des analyses existantes. Les autres analyses sont inédites (celle d’Annie Labussière reprend un support audio-visuel de conférence très inventif sur le plan multimédia). Plusieurs analyses s’adressent à un large public de mélomanes. D’autres intéressent plus directement un public concerné par l’ethnomusicologie en tant que discipline scientifique, et les bouleversements qu’y apporte le multimédia dans la transmission des connaissances entre chercheurs (voir l’article de Dana Rappoport sur l’intérêt du multimédia dans la modélisation des constructions logicistes en sciences humaines).